Que se passera-t-il si l’Union européenne et le Royaume-Uni se séparent sans conclure un accord ? Pour les départements du Nord et du Pas-de-Calais, la réponse tient en quelques mots : l’impact sera considérable. C’est ce qui ressort d’une lettre envoyée, il y a quelques jours, au ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, par le préfet des Hauts-de-France. Dans ce courrier assorti d’une étude d’une vingtaine de pages, que Le Monde a pu consulter, Michel Lalande éclaire sa tutelle sur les conséquences d’un « hard Brexit » – cas de figure qui ne peut pas être exclu compte tenu des blocages dans les tractations entre Londres et le reste de l’UE.

Les mots employés par le haut fonctionnaire sont feutrés mais sur le fond, sa missive ressemble à un signal d’alarme : si le scénario d’une « sortie sèche” » des Britanniques devient réalité, les règles applicables aux personnes et aux marchandises devront être entièrement revues, ce qui impliquera des moyens humains supplémentaires et des équipements nouveaux. Moins les réponses apportées seront à la hauteur du problème, « plus la gestion de l’ordre public sera durablement affectée », écrit M. Lalande. Une allusion – entre autres – aux files d’attentes susceptibles de se former dans les villes portuaires par lesquelles s’écoule un important trafic transmanche. Le préfet de région précise qu’« une réflexion complémentaire est engagée (…) afin d’élaborer un plan de gestion de crise spécifique, destiné à limiter les effets induits des nouvelles procédures ».

Si Theresa May rompt avec ses voisins sans signer de contrat de divorce, les conséquences seront tangibles au niveau de « la circulation des personnes ». Certes, des contrôles sont déjà effectués, des deux côtés de la frontière, sur les flux de passagers, puisque le Royaume-Uni n’appartient pas à l’espace Schengen. Mais en cas de « hard Brexit », les Britanniques auront le statut de ressortissant de pays tiers soumis à visa. Même chose pour les Français (et les ressortissants des autres Etats membres de l’UE) vis-à-vis de Londres. Du coup, « il conviendra de vérifier » le visa et le « viatique » (moyens pour subvenir à ses besoins).

Etoffer les effectifs de la police aux frontières

Appliquées aux automobilistes qui traversent le Channel, ces mesures leur « imposeront (…) de sortir des véhicules, contribuant à congestionner fortement les capacités d’accueil, déjà très limitées, sur chaque site », souligne le dossier transmis par M. Lalande. Dès la fin mars 2019, date d’entrée en vigueur du Brexit, « la durée moyenne de contrôle sera doublée, avec une répercussion sur la fluidité des points de passage frontière » : Calais, Dunkerque, Coquelles avec le « lien fixe transmanche » (LFTM), la gare de Lille-Europe et son terminal d’embarquement Eurostar…

Pour absorber de tels flux, il faudrait étoffer les effectifs de la police aux frontières (à hauteur de 250 postes) mais ces renforts pourront difficilement être mis à disposition, d’ici au 29 mars, comme le reconnaît, avec réalisme, l’étude communiquée par M. Lalande à la place Beauvau.

Autres besoins identifiés : la construction de nouvelles « lignes de contrôle » pour les véhicules de tourisme, les bus et les poids-lourds, à Dunkerque, à Calais et à Coquelles. En attendant que toutes ces dispositions soient prises, la réflexion doit prioritairement porter « sur un allègement réciproque des formalités de contrôle, de part et d’autre de la frontière », recommande l’étude.

Informer les entreprises

L’autre impact potentiel sur lequel insiste la note concerne « la circulation des biens ». Un divorce sans accord entraînera, en effet, le rétablissement des « contrôles sanitaires et phytosanitaires » pour les animaux vivants et les produits d’origine animale et végétale. Or ces opérations doivent être effectuées dans des « installations dédiées » et agréées, dont la mise en place requiert un « délai moyen de dix-huit à vingt-quatre mois ». Le nombre de « lots à contrôler » à Dunkerque et à Calais pourrait atteindre environ 970 000, chaque année. Une charge de travail qui impliquerait de recruter « 195 agents ». Là encore, plusieurs suggestions sont émises pour adoucir les effets d’un « hard Brexit » : délocalisation des vérifications dans d’autres communes, réduction du « taux de contrôles physiques sur la base d’une analyse de risques » afin de diminuer les délais…

Enfin, le « no deal » (absence d’accord) s’accompagnera du retour des formalités douanières. Elles porteront sur des volumes massifs : 32 millions de personnes et 4,2 millions de poids de lourds empruntent les ports de Calais, de Dunkerque et le LFTM, chaque année. Des stratagèmes sont envisagés de manière à alléger le fardeau (par exemple en reportant « à l’intérieur du territoire la majeure partie » des vérifications). Dans ce contexte, insiste l’étude, il sera crucial d’informer les entreprises, en visant « en priorité les néophytes du commerce international », qui n’ont aucun lien avec l’administration des douanes. Prévenir l’engorgement des points d’entrée vers l’Angleterre obéit à des raisons d’ordre public mais aussi au souci de maintenir la compétitivité des plateformes portuaires et logistiques françaises, en butte à « la concurrence des pays de l’Europe du Nord ».

L’Etat n’est pas resté les bras ballants. Depuis plusieurs mois, il s’efforce de préparer ses services au choc d’un « no deal ». Au premier semestre, le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a promis l’embauche de 700 douaniers supplémentaires au cours du quinquennat. L’accent sera mis par ailleurs sur la dématérialisation des procédures, afin de gagner du temps. D’ici quelques jours, le gouvernement devrait nommer un coordonnateur interministériel sur le Brexit. Sa tâche s’annonce immense.