Gabriel Byrne dans « Maniac ». / MICHELE K. SHORT / NETFLIX

Netflix, à la demande - Série

Déroutant comme peut l’être l’enchaînement de rêves au cours d’une même nuit, ­Maniac s’ouvre sur un premier épisode où l’on ne comprend à peu près rien. Si ce n’est que l’on est à New York, dans un futur tel qu’on pouvait l’imaginer lorsque l’on vivait dans les années 1980. Si ce n’est, par ailleurs, que l’on est face à une étrange promesse ­scénaristique (librement adaptée d’une série norvégienne) de l’un des auteurs de la série The Left­overs (2014-2017), Patrick Somerville, et face à l’alléchante réalisation de Cary Fukunaga, à qui l’on doit la superbe première saison de True Detective – lequel vient de se voir confier le prochain James Bond. Mais que l’on se rassure, l’ambition de cette série prend forme dès le deuxième épisode.

Sans doute, ceux qui n’aiment rien tant que la terre ferme du réel auront du mal à entrer dans le doux délire scénaristique et visuel de Maniac – contrairement à ceux qui ont apprécié l’inventivité d’une série comme Atypical, elle aussi sur Netflix. Ce serait pourtant dommage tant Maniac vibre, invente et émeut quiconque est prêt à affronter le vertige. Car l’on est invité ici à une expérience, à l’image de ce que vont traverser ses deux personnages principaux, Owen (Jonah Hill) et Annie (Emma Stone, bluffante de bout en bout).

Dose d’étrangeté

Etrangers l’un pour l’autre, tous deux se rencontrent après s’être portés volontaires à un essai thérapeutique d’un genre nouveau, pour ne pas dire douteux et risqué. Sous le contrôle de l’ordinateur le plus sophistiqué au monde, capable d’analyser leurs rêves, leurs hantises et leurs souvenirs, ils viennent d’accepter, avec d’autres, de se soumettre au protocole mis au point par un neuro-chimiste démiurge (Justin Theroux, comiquement raide et pompeux) : une expérimentation qui vise à terme, si elle réussit, à débarrasser l’humanité de tout mal-être, de tout trauma. Chaque étape de l’expérience amenant ces cobayes à identifier leur souffrance, puis à l’accepter, et enfin à la dépasser.

Cela passe par l’absorption de ­pilules qui, à chaque prise, vont transporter Annie et Owen dans des rêves, des hallucinations, des époques et des scénarios différents ; ce qui permet au scénariste et au réalisateur d’augmenter eux-mêmes la dose d’étrangeté, de créativité et de délire au fil de la série, en pastichant tour à tour, parfois avec un éclatant bonheur, parfois de manière grotesque, le genre de la comédie noire, du drame familial, de l’espionnage, du fantastique moyenâgeux, etc.

Emotion

Le plus étonnant, dans ce maelström de tableaux qu’occasionnent les rêves partagés par Owen et ­Annie, vient de l’émotion, voire de la sentimentalité, que ne manque pas d’induire le psychodrame ­familial qu’est au final Maniac. Car la série s’attache moins à traquer la dépression ou la maladie ­mentale dont souffrent Annie et Owen qu’à dépeindre le sentiment d’inutilité et de solitude, la culpabilité, les fausses croyances dont chacun a hérité, à des degrés divers, de ses liens familiaux. 

Et que dire de l’ordinateur ­« kubrickien » Gertie, maître-analyste de l’essai thérapeutique, qui, une fois inoculé de quelques émotions basiques par une médecin de l’équipe, va souffrir d’un deuil pathologique à la mort de son ­concepteur, tomber en dépression et « perdre la tête », avant d’expliquer à ses manipulateurs : « Je veux rencontrer mon vrai moi. »

Maniac, série créée par Patrick Somerville. Avec Emma Stone, Jonah Hill, Justin Theroux, Sally Field (EU, 2018, 10 × 40 min).