Quand Kalkidan Teklu a commencé à tousser, elle ne savait pas qu’elle avait la tuberculose. La jeune femme menue de 24 ans pensait qu’elle avait attrapé un gros rhume, le gunfan comme on l’appelle en Ethiopie. Après lui avoir posé quelques questions, Samrawit Shemeles, de deux ans sa cadette, a identifié les symptômes. Elle l’a tout de suite orientée vers le centre de santé le plus proche de ce quartier pauvre de la capitale Addis-Abeba pour qu’elle se fasse diagnostiquer et suive un traitement. Sa mère, également contaminée après avoir été au chevet de sa fille, ne savait pas que la prise en charge était gratuite. « Je pensais que c’était trop cher pour nous. Aujourd’hui, ma fille est guérie, moi aussi. Je ne sais pas ce qu’on serait devenues si Samrawit n’était pas venue », dit-elle simplement.

Présentation de notre série : Tuberculose, jusqu’à quand ?

Samrawit n’est pas médecin, elle est agente de santé communautaire. Elle s’invite chez dix à quinze familles par jour pour évaluer leur état de santé, « identifier les maladies chroniques » et les assister pendant un traitement. En deux ans, elle a repéré cinq cas de tuberculose dans les 500 foyers dont elle s’occupe. « Quand j’ai commencé ce travail, une femme est décédée ici », raconte-t-elle en désignant la cour commune que se partagent plusieurs familles modestes. Dans cet espace restreint, Kalkidan, sa mère et son frère louent une toute petite pièce où ils dorment tous les trois. « La promiscuité est un facteur de risque » de contamination, rappelle Samrawit.

« Success story »

La tuberculose est un problème majeur en Ethiopie. Dans ce pays de 104 millions d’habitants où l’agriculture emploie 80 % de la population active, quelque 117 000 cas ont été signalés en 2017. « Nous réduisons le nombre de nouveaux cas et le nombre de décès au fur et à mesure », explique Taye Letta. Le coordinateur national de l’équipe chargée de la lutte contre la tuberculose et la lèpre au ministère éthiopien de la santé rappelle que son pays est parvenu à atteindre les trois cibles liées à la tuberculose fixées par les Nations unies dans le cadre du sixième objectif du Millénaire pour le développement (OMD) : la réduction de 50 % des cas existants, des nouveaux cas et du taux de mortalité sur la période de 1990 à 2015. Parmi les neuf pays africains les plus touchés, seuls l’Ethiopie et l’Ouganda ont réussi ce triple pari. Un exploit dans une Afrique qui voit encore mourir plus du quart de ses malades atteints de tuberculose selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« C’est une success story », veut croire M. Taye qui détaille avec fierté les progrès sanitaires accomplis : l’augmentation du nombre d’infrastructures publiques de santé, passant de 350 il y a vingt ans à près de 3 800 hôpitaux et centres de santé aujourd’hui ; les 16 500 postes de santé, soit un par kebele (la plus petite sous-division administrative du pays) ; l’approvisionnement en machines capables de détecter la tuberculose et sa forme résistante aux médicaments. Mais, d’après lui, cette réussite s’explique d’abord par la constitution d’un réseau très étoffé d’agents de santé communautaires comme Samrawit déployés sur tout le territoire et rémunérés par l’Etat. En moyenne, « il y en a deux par kebele », explique-t-il. Ils sont aujourd’hui près de 40 000 à quadriller le pays.

Le porte-à-porte systématique leur permet d’atteindre plus facilement les communautés locales, notamment dans les zones rurales reculées où les agriculteurs se trouvent parfois loin des structures de santé. Ces volontaires, majoritairement des femmes, sont notamment formés à la lutte antituberculeuse, par l’observation et le contrôle de la prise de médicaments. Elles rendent visite à chaque famille environ une fois par mois.

« Si elles suspectent la tuberculose mais que le patient n’est pas diagnostiqué dans le centre de santé, elles nous appellent », précise le docteur Daniel, spécialiste de médecine interne à l’hôpital Alert d’Addis-Abeba, l’un des établissements capables de diagnostiquer et de traiter la tuberculose et sa forme multirésistante. « Il y a une difficulté de diagnostic à cause de la manifestation clinique qui est subtile et nécessite une grande expérience », explique-t-il, notamment dans le cas d’une coinfection fréquente avec le VIH. Les tests de dépistage de la tuberculose peuvent se révéler négatifs chez les patients séropositifs. Pour améliorer les connaissances des agents de vulgarisation sanitaire en matière de gestion et de traitement de la tuberculose, le docteur Daniel donne des visioconférences depuis la capitale retransmises à travers tout le pays.

« Familles modèles »

Mais l’originalité de l’Ethiopie se trouve aussi dans ce que les autorités qualifient d’« armée du développement de la santé ». Le pays peut aussi compter sur des dizaines de milliers de bénévoles, en majorité des femmes, au sein même des communautés surtout rurales. Les agents et les administrateurs du kebele choisissent et forment des « familles modèles » pour les épauler et informer leur voisinage. Elles sont chargées de sensibiliser cinq autres familles à l’hygiène, mais aussi à la contraception, aux maladies sexuellement transmissibles, aux risques liés à l’accouchement, entre autres.

Depuis cinq ans, Darchaye Beza fait partie des familles modèles de son kebele du village de Merawi, à environ 500 km au nord d’Addis-Abeba. Cette dame élégante au visage ridé ne sait ni lire ni écrire mais elle peut repérer les villageois qui présentent des symptômes de la tuberculose et prodiguer des conseils aux trente familles sous sa responsabilité. « Si une personne tousse pendant plus deux semaines, elle doit couvrir son visage et se rendre au centre de santé » situé à quelques kilomètres, explique-t-elle.

Sommaire de nore série Tuberculose, jusqu’à quand ?

Le Monde Afrique propose des reportages, portraits et entretiens sur le continent pour raconter le fléau qui tue plus que le sida.

Episode 3 Une armée de volontaires en Ethiopie pour vaincre la tuberculose

Episode 2 A la poursuite des cas manquants de tuberculose dans les villages sénégalais

Episode 1 Au Kenya, une révolution au goût de fraise dans la lutte contre la tuberculose infantile

Présentation de notre série Tuberculose, jusqu’à quand ?

Malgré ce réseau bien huilé, il y a encore des cas de tuberculose manqués, environ 36 pour 100 000 personnes. Le ministère de la santé veut désormais atteindre des populations bien spécifiques : les sans-abri, les réfugiés, les prisonniers, les amateurs de médecine traditionnelle, entre autres. L’éradication de la maladie à l’horizon 2030 fait partie des nouveaux Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies auxquels l’Ethiopie s’est engagée. Taye Letta y croit, malgré un budget en baisse. « Si le diagnostic est précoce, il n’y aura plus de décès. Plus aucun foyer ne doit être tuberculeux ! » Il est convaincu que l’Ethiopie est armée pour « vaincre » définitivement la maladie.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.