Bateau renversé dans la ville de Palu (Indonésie), frappée par un séisme et un tremblement de terre, vendredi 28 septembre. / Yoanes Litha / AP

Un début de polémique est né sur la façon dont l’alerte tsunami a été gérée, vendredi 28 septembre, dans les minutes qui ont suivi le séisme ayant fait près de mille morts dans la région de Palu, sur l’île de Sulawesi, en Indonésie. Les autorités indonésiennes ont-elles levé l’alerte trop tôt ? Un système de capteurs plus performant, et surtout opérationnel, aurait-il sauvé des vies ?

Le séisme est survenu à 18 h 02 (heure locale). L’Agence météorologique, climatologique et géophysique indonésienne (BMKG) a décrit le déroulement des faits dans un communiqué, au lendemain de la catastrophe. L’analyse des données sismiques par le BMKG a quasiment instantanément engendré une alerte tsunami, estimant que la vague mesurerait entre 0,5 et 3 mètres et arriverait à Palu à 18 h 22. Le marégraphe de Mamuju, situé au sud, bien plus loin de l’épicentre, a enregistré une montée des eaux de 6 centimètres seulement à 18 h 27, laissant supposer qu’une vague de faible ampleur était déjà passée à Palu. L’alerte a donc été levée à 18 h 36.

L’agence AP a évoqué les regrets de chercheurs impliqués dans un projet de système de détection précoce, encore expérimental. S’appuyant sur des capteurs posés au fond de la mer et des communications par fibre optique, il n’a pas bénéficié de financements suffisants pour être opérationnel. Par ailleurs, un réseau plus ancien de bouées DART est, lui, totalement en déshérence en Indonésie, en raison de vols de ses composants coûteux et de dégradations par les pêcheurs.

Faible distance

Cependant, pour Rémy Bossu, directeur du European Mediterranean Seismological Center, qui a participé à la conception du système d’alerte tsunami en Méditerranée, la présence de ces bouées, conçues pour détecter les grands tsunamis transocéaniques, « n’aurait probablement rien changé dans ce cas », en raison de la faible distance entre le séisme et les zones côtières sinistrées. Même à l’échelle d’un bassin comme la Méditerranée, l’installation de telles bouées, très onéreuses et demandant une lourde maintenance, n’est pas envisagée : la distance vis-à-vis du tremblement de terre doit être suffisamment grande pour que les capteurs distinguent l’arrivée de l’onde sismique de celle de la vague.

En France métropolitaine, le système d’alerte tsunami, géré par le Commissariat à l’énergie atomique et énergies alternatives (CEA) depuis 2012, a été conçu pour informer la protection civile dans un délai de quinze minutes, en se fondant sur des données de capteurs sismiques et des marégraphes. Le scénario envisagé est celui d’un mur d’eau engendré par un séisme sur les côtes algériennes – ce qui constitue l’aléa le plus probable. Le tsunami mettrait alors soixante-quinze à quatre-vingt-dix minutes à arriver sur les côtes françaises.

Palu n’étant située qu’à quatre-vingts kilomètres de l’épicentre, le délai d’arrivée du tsunami était bien plus court. Le 1er octobre, le BMKG a même précisé, sur la foi d’une vidéo virale montrant l’arrivée du tsunami à Palu, que celui-ci avait frappé la ville entre 18 h 10 et 18 h 13. Cela pourrait conforter l’hypothèse qui circule désormais parmi la communauté des sismologues : le tsunami n’aurait probablement pas été engendré par une brusque rupture verticale de la croûte terrestre au fond de l’océan – comme lors du séisme du Tohoku, au Japon, en 2011.

« Glissement de terrain sous-marin »

Aux Célèbes, où les plaques ont coulissé horizontalement, « c’est plutôt un glissement de terrain sous-marin, engendré par le séisme, qui est suspecté », indique Rémy Bossu. Une vidéo aérienne pourrait aussi renforcer cette thèse : reprise sur un fil Twitter spécialisé dans l’analyse des séismes, elle est censée avoir été prise depuis un avion quittant Palu au moment du tremblement de terre, et montre plusieurs vagues qui semblent émaner de la côte à la suite de mouvements de terrain.

Des effondrements sous-marins, encore plus difficiles à déceler, et parfois décalés dans le temps, peuvent aussi engendrer localement un mur d’eau dévastateur. En outre, « la bathymétrie locale a toujours des effets majeurs », note Rémy Bossu. En l’espèce, Palu se situe au fond d’une baie en entonnoir, propre à favoriser l’élévation d’un tsunami.

Sismologue à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), Robin Lacassin juge, lui aussi, que la polémique sur la défaillance du système d’alerte est « vaine » : « En champ très proche, ce qui compte c’est la réaction immédiate et spontanée de la population lorsqu’elle ressent un gros séisme. Donc sa compréhension, qui passe évidemment par l’éducation et l’entraînement, note le chercheur. Les systèmes d’alerte sont par contre très utiles à des distances plus importantes, où le séisme ne va pas être ressenti, ou faiblement. »

En définitive, à proximité d’un séisme, c’est le tremblement de terre lui-même qui constitue l’alerte tsunami : « Le message de prévention, près des côtes, c’est que dès lors que vous ressentez une secousse durant plus de trente secondes, ou que vous avez du mal à tenir debout lors du séisme, il faut gagner les hauteurs », indique Rémy Bossu.