« Portrait d’Oopjen Coppit » (1634), par Rembrandt, huile sur toile (210 cm sur 135 cm), tableau acquis par la République française pour le Musée du Louvre. / RIJKSMUSEUM, AMSTERDAM / CAROLA VAN WIJK

Magistral jeu de matières, noir sur noir, au Louvre, signé Rembrandt. Après restauration, les deux spectaculaires portraits en pied (2,10 m de haut, par 1,35 m de large) des époux Oopjen Coppit et Marten Soolmans, peints par Rembrandt, en 1634 à Amsterdam, à l’âge de 28 ans, sont, pour trois mois, sur les cimaises du musée parisien ; avant de repartir pour le Rijskmuseum pour cinq ans, puis de revenir au Louvre pour cinq ans ; après quoi, chacun des deux musées pourra garder le chef-d’œuvre huit ans.

Cette rotation est imposée par l’accord signé le 1er février 2016, par les deux musées et les gouvernements français et néerlandais, pour l’achat conjoint desdits portraits à Eric de Rothschild – que la famille possédait depuis 1878. Coût de l’acquisition, 160 millions d’euros, dont la moitié pour « Madame », acquise par le Louvre, avec le mécénat de la Banque de France. Selon cet accord, le couple ne peut être séparé, il ne quittera pas l’Europe, et il est interdit de prêt.

« Portrait de Marten Soolmans » (1634), par Rembrandt, huile sur toile (210 cm sur 135 cm), tableau acquis par l’Etat néerlandais pour le Rijksmuseum. / RIJKSMUSEUM, AMSTERDAM / CAROLA VAN WIJK

Présence vibrante

Dans l’enfilade des salles rénovées de la peinture flamande, aux côtés des autoportraits du maître, et face à sa Bethsabée – récemment restaurée –, le double chef-d’œuvre de Rembrandt éblouit par la présence vibrante des époux. Marten en fanfaron, du rose aux joues, le sourire aux lèvres ; Oopjen, le teint pâle révélant la fatigue due à sa grossesse. Le subtil mariage noir des soies, mousseline mouchetée, satin, gaze, fourrure, se lit jusqu’à la légèreté, la raideur ou la souplesse de l’étoffe. Comme la fragilité des cols en dentelle blanche, col monté pour lui, mini-cape couvrant les épaules et poignées en coroles dentelées pour elle ; ou la délicatesse des rosaces XXL piquées sur les souliers que Marten exhibe en trophée. Rembrandt posait le blanc en épaisse couche, puis dessinait la dentelle par petites touches de noir.

Lire le récit : La toilette de Bethsabée

Détail de la main d’Oopjen Coppit, portant bijoux et dentelles. / RIJKSMUSEUM, AMSTERDAM / FLORENCE EVIN

Après trente mois d’études, la restauration, de plus d’une année, a été menée à Amsterdam sous le contrôle d’un comité consultatif franco-néerlandais co-dirigé par Taco Dibbits, directeur du Rijskmuseum et Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre, qui souligne l’exceptionnel « travail collégial des deux équipes » ; avec, pour la France, Anne Lepage, restauratrice conseil du Louvre et du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), et Blaise Ducos. Conservateur des peintures flamandes et hollandaises au Louvre, il livre le secret des noirs « très sophistiqués » de Rembrandt : « On a retrouvé des traces d’azurite, un matériau grisé qui, en le broyant, crée des effets de lumière, et quelques grains vermillon dans le noir du portrait d’Oopjen. Dans les dentelles, les gris et blancs se superposent ».

Toile unique

Les deux portraits ont été réalisés sur une toile unique, laquelle a reçu une préparation rouge-brun et gris. A quel moment ont-ils été dissociés avant d’être peints ? La question reste posée. L’examen au « macro rayon X à fluorescence » a révélé une première composition dans laquelle, derrière chacun des époux, apparaissent une porte cintrée et une tenture. Un décor que Rembrandt supprime pour montrer les deux époux en pied et en gros plan sur un fond neutre gris fumé.

Image au « macro rayon X à fluorescence » des deux portraits faisant apparaître porches et tentures derrière les deux époux, dans une première version, que Rembrandt supprime, pour privilégier l’éclat du couple sur un fond neutre gris fumé. / RIJKSMUSEUM, AMSTERDAM

« Les tableaux étaient en très bon état, avec très peu de lacunes, indique Anne Lepage. Ils ont été décrassés avant leur départ du Louvre, ils étaient restés accrochés chez les Rothschild dans le grand salon près d’une cheminée, de l’hôtel Marigny, jusqu’en 1972, date de la vente de l’hôtel particulier à l’Etat français. A Amsterdam, au terme d’une année et demi de restauration, les trois couches superficielles de vernis – jusqu’à dix couches dans la rosette –, posées dans les années 1950, ont été retirées, sans toucher à la couche colorée ».

Au Louvre, l’opulence, le raffinement et l’éclat retrouvé des costumes de soie du couple racontent ce Siècle d’or, florissant aux Pays-Bas espagnols, au sein d’une famille de riches marchands, membres de l’oligarchie politique. Oopjen était petite-fille d’armateur, tandis que le père de Marten qui importait des épices d’Orient était à la tête d’une raffinerie de sucre.

Musée du Louvre, tous les jours sauf le mardi, de 9 heures à 18 heures, jusqu’à 22 heures les mercredi et vendredi. Tarif unique : 15 €. louvre.fr