Traitements préventifs, dépistage, épidémiologie : autant de nouveaux outils qui doivent permettre d’améliorer la prise en charge de la maladie. / The Aurum Institute

Ils sont une dizaine d’hommes, adossés contre un mur ou accroupis par terre, dans un cul-de-sac de Tembisa, un township au nord de Johannesburg. Ils dealent ou consomment du nyaope, un cocktail de drogues extrêmement addictif qui fait des ravages en Afrique du Sud. Alors que la voiture de John Mtuli s’arrête à leur hauteur, les jeunes le reconnaissent et s’approchent. « Certains de nos candidats sont des consommateurs de drogues, explique ce travailleur communautaire qui connaît Tembisa comme sa poche. Paradoxalement, ce sont eux qui sont les plus assidus. »

Présentation de notre série : Tuberculose, jusqu’à quand ?

Employé par l’Institut Aurum, il se consacre à trouver des patients atteints de la tuberculose, afin de les recruter pour participer à des études cliniques. En 2010, cette organisation sud-africaine a ouvert dans le township un centre de recherche où pas moins de 1 217 patients ont été recrutés pour participer à 23 essais thérapeutiques. Vaccins, traitements préventifs, dépistage, épidémiologie : autant de nouveaux outils qui doivent permettre d’améliorer la prise en charge de la maladie.

Avec 78 000 décès en 2017, la tuberculose est la première cause de mortalité en Afrique du Sud, bien avant les homicides (41 000) et les accidents cardiovasculaires. C’est aussi la première cause de mortalité chez les patients vivant avec le VIH, dont 60 % en sont également atteints. Le pays de Nelson Mandela a pris la mesure de l’urgence et met les bouchées doubles pour combattre cette maladie sous-estimée, curable la plupart du temps, mais dont les traitements sont lourds et comportent d’importants effets secondaires.

« Les vacances sont finies »

Le revirement de l’Afrique du Sud est total par rapport à l’épidémie de sida qui avait durement touché le pays. Dans les années 2000, les autorités avaient été fortement critiquées pour leur inaction. Le président d’alors, Thabo Mbeki, niait le lien entre le VIH et la maladie infectieuse et doutait de l’efficacité des antirétroviraux (ARV). Résultat : le pays est aujourd’hui le plus touché par le sida et concentre 19 % des personnes séropositives dans le monde.

Près de vingt ans plus tard, avec la diffusion généralisée des ARV, plus de 6 millions de personnes sont désormais sous traitement et l’épidémie est en recul. Surtout, le pays a développé une approche décentralisée et intégrée pour lutter contre la coinfection VIH-tuberculose. Les deux vont de pair. La tuberculose étant la première maladie responsable du décès des séropositifs, la meilleure diffusion des ARV a permis de réduire le nombre de nouveaux cas de 7 % par an en moyenne entre 2010 et 2017, a noté l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans son rapport 2018.

Pour le docteur Norbert Ndjeka, du département tuberculose au ministère sud-africain de la santé, ces bons résultats sont le produit d’un engagement politique fort. « Lorsque le ministre Aaron Motsoaledi est arrivé en 2009, il nous a dit : “Les vacances sont finies”, affirme le spécialiste. L’autre ingrédient, ce sont nos chercheurs de renommée mondiale, qui perfectionnent les outils dont nous disposons pour lutter contre la maladie. » Des 22 pays les plus fortement touchés, l’Afrique du Sud est le seul qui consacre plus de 0,1 % de son budget de recherche et développement à la tuberculose.

« On interroge chaque nouvel entrant »

John Mtuli poursuit la visite. A quelques centaines de mètres de l’hôpital de Tembisa, une rangée de toilettes sèches préfabriquées longe un bidonville qui abrite un millier d’âmes. « Ici, 90 % des gens sont au chômage. Ils n’ont qu’un point d’eau et les toilettes sont nettoyées une fois par mois », explique t-il. La surpopulation et l’insalubrité font du township le plus gros foyer de tuberculose, affection qui touche d’abord et avant tout les plus pauvres.

Mais parce que la bactérie se transmet par l’air, les malades peuvent être partout. Aurum travaille donc ses relations avec les structures communautaires, les églises, les responsables politiques, ainsi que les ONG qui organisent des dépistages mobiles du sida aux abords des stations de bus ou des centres commerciaux. Le plus gros contingent de candidats aux études cliniques vient du centre de santé de Tembisa qui, depuis 2016, a complètement changé sa prise en charge de la tuberculose.

Les patients sont reçus dans une salle qui donne directement sur la porte de sortie, afin de minimiser les contacts avec les autres. « Depuis deux ans, on interroge chaque nouvel entrant, quelle que soit la raison de sa venue. S’il est séropositif, s’il tousse, s’il a maigri subitement ou s’il y a des personnes infectées dans son entourage immédiat, alors on fait les tests », explique l’énergique directrice du centre, Constance Mathuma.

Elle montre volontiers ses chiffres : en deux ans, le taux de guérison est passé de 70 % à 93 %. L’introduction du test GeneXpert – un nouvel outil de diagnostic dont plus de 200 unités ont été installées dans le pays depuis 2011 – a révolutionné le dépistage. Il ne faut plus que quelques jours pour obtenir les résultats, contre deux mois auparavant. Cette technologie a également permis d’améliorer la prise en charge des formes multirésistantes de la maladie, un énorme défi pour le personnel de santé. Le test permet en effet de savoir si le patient réagit ou non aux deux molécules habituellement utilisées pour traiter la tuberculose.

12 pilules au lieu de 300

« L’autre grande difficulté, note toutefois la directrice, ce sont les travailleurs migrants qui disparaissent dans la nature du jour au lendemain et peuvent potentiellement répandre la maladie. » Situé à quelques kilomètres du centre industriel de Johannesburg, Tembisa accueille traditionnellement des travailleurs pauvres de tout le pays venus trouver un emploi. D’après le ministère de la santé, 30 % des malades diagnostiqués ne suivent pas de traitement, et jusqu’à 20 % de ceux qui sont sous traitement l’abandonnent en cours de route.

En plus d’une meilleure traçabilité des patients, l’allégement des traitements est la grande priorité. C’est l’objectif d’Aurum, qui teste actuellement à Tembisa un traitement intégré, le 3HP, à base d’isoniazide et de rifampicine, à prendre une fois par semaine pendant trois mois. « Soit 12 pilules à ingérer au total contre 300 actuellement, c’est assez formidable », note Trevor Beatie, le responsable des études cliniques.

L’étude cherche notamment à vérifier l’interaction du traitement avec la nouvelle génération d’ARV, dans l’idée de proposer systématiquement le 3HP de manière préventive aux nouveaux séropositifs. « Avec nos résultats, on peut convaincre les laboratoires pharmaceutiques de produire en masse certains médicaments et ainsi de baisser les coûts », espère le responsable.

Aurum teste enfin deux vaccins prometteurs, alors que le seul disponible pour l’instant, le BCG, proposé aux enfants, n’agit plus à l’âge adulte. « Pour nous, c’est la partie la plus excitante de nos recherches, s’enthousiasme Trevor Beatie. Toutes les grandes maladies infectieuses ont été éradiquées par un vaccin. »

Sommaire de notre série Tuberculose, jusqu’à quand ?

Le Monde Afrique propose des reportages, portraits et entretiens sur le continent pour raconter le fléau qui tue plus que le sida.

Episode 4 « En Afrique, avoir la tuberculose est aujourd’hui plus stigmatisant qu’avoir le VIH »

Episode 3 Une armée de volontaires en Ethiopie pour vaincre la tuberculose

Episode 2 A la poursuite des cas manquants de tuberculose dans les villages sénégalais

Episode 1 Au Kenya, une révolution au goût de fraise dans la lutte contre la tuberculose infantile

Présentation de notre série Tuberculose, jusqu’à quand ?

Autant de défis à relever pour que l’Afrique du Sud, qui a encore dénombré 320 000 nouveaux cas de tuberculose en 2017, selon les chiffres de l’OMS, atteigne l’objectif d’éradication de la maladie à l’horizon 2030 auquel le pays s’est résolument engagé fin septembre.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.