Quand on parle d’image et de la puissance de l’image, il faut sans cesse penser à cette phrase du critique catholique Stanislas Fumet : « L’art fait toujours une coupable concurrence à Dieu. » Pour raconter une histoire, n’importe laquelle, il faut l’accompagner d’une illustration, d’une vidéo, d’un dessin, d’une photographie. Tous les sites Internet font ainsi, tous les journaux aussi, comme tous les livres scolaires. Et l’offre de photographies et d’images sur le Web devient exponentielle. Si on parle d’images historiques ou d’actualité, on constate qu’elles ne sont jamais neutres, qu’elles ne montrent pas la réalité, elles sont toujours une construction de celui qui les a produites et de celui qui les diffuse. Elles peuvent être contestées, tronquées, manipulées.

Quand on demande à un enfant de regarder un dessin de Jeanne d’Arc et qu’on lui demande de quoi il s’agit, il va répondre : « Jeanne d’Arc », s’il a bien écouté la leçon. Or ce n’est pas Jeanne d’Arc, c’est la représentation de Jeanne d’Arc. Il faut ensuite se rendre compte, et nous en donnons de multiples exemples dans ce nouveau hors-série du Monde, qu’une image, comme un texte, peut être amicale, dérangeante, informative ou dangereuse ; elle peut provoquer des révolutions, briser une carrière politique, ridiculiser une star. D’autant qu’elle circule aujourd’hui à la vitesse de la lumière.

Un choix arbitraire et difficile

Comment appréhender cette immense agora où tout est visible et reproductible à l’infini ? Qui décide de ce que l’on peut voir sur Internet ? Des sentinelles, appelées modérateurs de contenu, installées en Asie ou en Europe, surveillent et suppriment les images qui enfreignent les règles des plates-formes comme Google, Facebook, Twitter, YouTube, pour le compte de ces sociétés. Nous devons faire confiance à ces censeurs anonymes, car nous savons bien que la liberté totale est elle aussi problématique. L’offre visuelle mise à la disposition du public pose également le problème de la production des images historiques et d’actualité. Qui les produit ? Qui les détient ? Qui les commente ? Et qui les diffuse ? La mémoire visuelle du monde est aujourd’hui détenue par deux conglomérats, l’un chinois l’autre américain ; cette concentration est problématique.

En sélectionnant cinquante images qui ont marqué l’histoire, un choix arbitraire et difficile, nous avons cherché à distinguer celles qui ont fait l’histoire et celles qui racontent l’histoire, ce qui n’est pas la même chose. Nous avons également essayé de faire comprendre comment fonctionnait la fabrication des images. Ce hors-série, réalisé à l’occasion des Rendez-vous de l’histoire de Blois (du 10 au 14 octobre), n’a qu’un objectif : expliquer que face à ce déluge, pour reprendre les mots de l’historien des images Laurent Gervereau, « aujourd’hui apprendre à voir est aussi important qu’apprendre à lire ».

« 50 images qui ont marqué l’histoire », un hors-série du Monde, 100 pages, 8,50 euros.
En vente en kiosque et sur Boutique.lemonde.fr