C’est un clip sur Youtube qui, jusqu’au mardi 2 octobre, n’avait été vu que quelques centaines de fois. Mais depuis que son personnage central, Gérard Mourou, a reçu le prix Nobel de physique 2018, conjointement avec l’Américain Arthur Ashkin et la Canadienne Donna Strickland, le compteur s’est emballé.

La courte vidéo commence dans un grenier, où un enfant joue avec un miroir pour faire courir un pinceau lumineux sur un globe terrestre. Trois minutes cinquante-cinq secondes plus tard, l’enfant s’éloigne dans le couchant, main dans la main avec Gérard Mourou, dont on présume qu’il boucle sa propre histoire, une vie scientifique consacrée à dompter la lumière.

Dans l’intervalle, on voit le physicien entraîné dans une sorte de comédie musicale entre le reggae et la soul, dans un amphi joyeux, personnage de craie sur un tableau vert, arrivant dans son laboratoire au volant de sa BMW, puis entouré de collègues et d’étudiantes tourbillonnantes, dont l’enthousiasme scientifique va jusqu’au tomber de la blouse.

Have you seen ELI 3
Durée : 03:56

Prise de distance avec le CNRS

Ce clip potache, tourné en 2010, exhumé et relancé sur Twitter par le journaliste et blogueur allemand Leonid Schneider, ne manquera pas de faire hausser quelques sourcils. Le CNRS, crédité comme producteur, précise que « la direction de la communication du CNRS n’a pas du tout été impliquée dans l’élaboration de ce film, initié et réalisé par le chercheur et son équipe du laboratoire. Nous n’en avons été informés qu’après coup et ne l’avons jamais relayé. »

Mokaddem Djemel, de la société Lucioles Productions (Auray, Morbihan), qui a réalisé la vidéo, n’est qu’à moitié surpris par cette prise de distance. « Nous avions obtenu toutes les autorisations pour tourner dans les laboratoires », déclare-t-il. Mais le clip a engendré « du ressentiment et des jalousies et a été attaqué », se souvient-il. Au point d’être mis à l’index.

Jean-Paul Chambaret, collègue de Gérard Mourou, aujourd’hui retraité, qui apparaît aussi dans la vidéo, se souvient que « la direction de l’époque n’avait pas trop apprécié cette initiative », dont il « rit encore ». Certains étaient, semble-t-il, plus choqués par la profanation d’un lieu de recherche presque sacré – la salle laser de l’école polytechnique – que par le déhanchement des figurantes.

Se distinguer par l’humour

L’objet du clip était de présenter l’équipe de recherche de façon humoristique pour une compétition visant au financement d’un projet européen, l’Extreme Light Infrastructure (ELI). A la fin des années 2000, il arrivait que les équipes de recherche aient recours « à des animations un peu amusantes » pour se distinguer, se souvient Jean-Paul Chambaret. Le laboratoire avait contacté des animateurs scientifiques pour le représenter lors d’un salon scientifique au Grand Palais. C’est à cette occasion que Mokaddem Djemel a rencontré les chercheurs. De fil en aiguille, des chansons ont été enregistrées, puis l’idée d’une vidéo a germé.

Les figurants ont été, en partie, sélectionnés parmi des étudiants volontaires par Mokaddem Djemel, et des amis et proches des chercheurs ont été également sollicités. « On a tourné un week-end, et puis tout le monde est venu dîner à la maison, raconte Jean-Paul Chambaret. C’était l’occasion de s’amuser et de mettre un peu de ludique autour de ces grands projets européens. » Le clip a porté chance à l’équipe française, qui a remporté l’appel d’offres et a coordonné le lancement de trois lasers de puissance en République tchèque, en Hongrie et en Roumanie.

Sur le fil Youtube, le physicien allemand Christian Rödel (Helmholz Institute, Iéna) affirme que la vidéo était bien connue dans la communauté des lasers de haute intensité. D’abord choqué, il a depuis rencontré Gérard Mourou et pris conscience que celui-ci avait agi « dans un esprit humoristique ». Et qu’en dit l’intéressé ? « Je ne suis pas très fier de cette vidéo, faite pour montrer que les chercheurs peuvent se décontracter », lâche-t-il.

« Certains collègues pensaient que cela pourrait lui coûter le Nobel », écrit Christian Rödel. Les sages de Stockholm, s’ils ont visionné la vidéo, ont sans doute été sensibles à d’autres arguments.