Le cinéaste américain Cecil B. DeMille à Los Angeles dans les années 1940. / AFP

On se souvient de son apparition dans Boulevard du crépuscule (1950), de Billy Wilder, où il jouait son propre rôle, celui d’un réalisateur de studio, parangon du genre, qui offrait à Gloria Swanson, star déchue du cinéma muet, un dernier tour de piste devant sa caméra. Cecil B. DeMille incarnait à lui seul l’âge d’or d’Hollywood et du système des studios, dans sa magnificence, sa folie dispendieuse, comme dans ses plus profondes contradictions. Rares sont les réalisateurs comme lui dont le nom ait acquis une notoriété de figure publique, identifiée bien au-delà des cercles cinéphiles. Sa carrière a traversé et jalonné quarante ans de classicisme hollywoodien, des pionnières et muettes années 1910 jusqu’aux superproductions des années 1950, pour constituer une œuvre de près de soixante-dix titres. La sortie en DVD et Blu-ray de six d’entre eux, chez Elephant Films, relance le cas épineux de ce réalisateur controversé, à la fois très et trop mal connu.

Bande-annonce (Trailer) Les Tuniques écarlates de Cecil B. DeMille (HD / VOSTFR)
Durée : 01:41

Descendant d’une famille épiscopalienne, l’œuvre de DeMille est marquée par un christianisme droitier, s’accompagnant de vues résolument puritaines et conservatrices, ce qui aurait logiquement pu la frapper, avec le temps, d’une complète désuétude. Ses films les plus célèbres sont, en effet, ses derniers péplums bibliques, croulant de lourdeur prosélyte et d’emphase stylistique, comme sa seconde version des Dix Commandements (1956) avec Charlton Heston dans le rôle de Moïse ou encore Samson et Dalila (1949), qui ont non seulement rempli les salles mais alimenté durablement les multidiffusions télévisées.

Bande-annonce (trailer) Les Conquérants d'un nouveau monde de Cecil B. DeMille (HD / VOSTFR)
Durée : 01:41

En proie aux délires

Or, ces baobabs massifs continuent de cacher la forêt d’une filmographie plus retorse qu’il n’y paraît, surtout si l’on s’aventure dans ses productions muettes (sa première version, complètement excentrique, des Dix Commandements en 1923) ou très hétéroclites des années 1930 (Madame Satan qui combine comédie sophistiquée et film catastrophe). Car ce qui caractérise le cinéma de De Mille, c’est non seulement l’orthodoxie de sa vision du monde, qui s’incarne dans un classicisme imperturbable, mais aussi la possibilité d’un complet dérèglement de celle-ci, qui libère nombre d’énergies baroques et donne tout à coup la fièvre à ses récits. DeMille convertit en vigueur esthétique cette capacité notoire de certains croyants : celle d’être en proie aux délires.

Bande-annonce (trailer) Cleopatre de Cecil B. De Mille (HD / VOSTFR)
Durée : 04:27

Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher, dans cette livraison, sur les deux péplums sulfureux que DeMille a tournés avec Claudette Colbert, Le Signe de la croix (1932) et Cléopâtre (1934), avant l’application du code Hays d’autocensure par les studios. Cléopâtre dépeint l’ascension de la fameuse reine d’Egypte, usant des armes de la séduction pour asseoir son pouvoir au nez et à la barbe des hommes. Le film brûle d’un érotisme fou dès qu’il approche de sa comédienne, toute en poses lascives et œillades affolantes, déambulant dans des toilettes exubérantes qui jouent dangereusement avec les contours de sa poitrine. Il culmine dans une scène d’accouplement entre l’héroïne et Marc Antoine, pudiquement escamoté derrière des rideaux, mais métaphorisée par une parade grandiose et suggestive dans le décor « art déco » du palais.

Bande-annonce (trailer) Le Signe de la croix (Sign Of The Cross) de Cecil B. DeMille (HD / VOSTFR)
Durée : 01:32

Mises en scène physiques du « péché »

Le Signe de la croix est encore plus fou. Relatant la rafle et l’exécution d’une communauté clandestine de chrétiens dans la Rome de Néron, le film se détourne de son intrigue principale (une histoire d’amour) pour décrire, non sans délectation, la déliquescence morale de l’empire chancelant (bains de lait et lesbianisme de Poppée, caprices puérils de Néron). Il s’emballe dans une dernière séquence, qui décrit par le menu les supplices des chrétiens jetés dans l’arène du cirque, aux prises avec une ménagerie d’animaux sauvages (lions bien sûr, mais aussi éléphants, crocodiles, gorilles). Face à cela, des contrechamps sur les regards exorbités et l’expression transie des spectateurs achève de transformer la scène en grand rituel sadomasochiste.

Bande-annonce (trailer) Les Naufrageurs de mers du Sud de Cecil B. DeMille (HD / VOSTFR)
Durée : 01:22

Ainsi le christianisme de Cecil B. DeMille sort-il des ornières de l’idéologie et s’avère-t-il réversible, par ses mises en scène physiques du « péché » qui permettent, non sans une certaine hypocrisie, d’en sonder les abîmes comme d’en jouir. Aux côtés de ces films troublés et passionnants, on trouvera également trois bandes d’aventure, dont les très beaux Naufrageurs des mers du sud (1942), avec John Wayne, ainsi qu’une fable sociale assez inattendue, La Loi de Lynch (1933), qui risque encore de brouiller un peu plus l’image de l’insubmersible Cecil B. DeMille.

Bande-annonce (Trailer) La Loi de Lynch (This Day and Age) de Cecil B. DeMille (DVD / VOSTFR)
Durée : 02:48

6 films de Cecil B. DeMille en combos Blu-ray et DVD : Le Signe de la croix (1932), La Loi de Lynch (1933), Cléopâtre (1934), Les Tuniques écarlates (1940), Les Naufrageurs des mers du sud (1942), Les Conquérants d’un nouveau monde (1947). 19,99 € l’unité. Elephant Films. Sur le Web : fr-fr.facebook.com/ElephantFilms