Rien ne se perd, tout se transforme. Deux saisons après leur affrontement en quarts de finale de Ligue des champions (3-2, 3-1 pour Monaco), le Borussia Dortmund et l’ASM effectuent mercredi leurs retrouvailles européennes, en s’appuyant de nouveau sur un même modèle sportif : l’achat de jeunes talents prometteurs, chargés d’animer un football tourné vers l’attaque.

Mais cette année, la donne est différente. Là où la stratégie de Monaco (18e de Ligue 1 après huit journées) atteint ses limites, celle du Borussia (BvB) semble trouver sa pleine mesure. Invaincus en Bundesliga après six journées, les joueurs de la Ruhr occupent la tête du championnat allemand avec une différence de buts impressionnante (+14), deux fois supérieure à celle du Bayern Münich, leur grand rival et tombeur lors de la finale de la Ligue des champions en 2013.

Le BvB ne dispose peut-être plus d’un buteur vedette comme Robert Lewandowski ou Pierre-Emerick Aubameyang, mais « son effectif est l’un des meilleurs, sinon le meilleur d’Allemagne, estime Patrick Guillou, consultant spécialiste de la Bundesliga pour BeIn Sports. Sa grande force réside dans sa densité : la concurrence est telle qu’un Mario Götze, héros de la finale du Mondial 2014 avec l’Allemagne, n’est plus dans le groupe depuis plusieurs matchs ».

Pourtant, les titulaires réguliers en attaque aux côtés du prodige américain Christian Pulisic (20 ans) et de Marco Reus, enfin épargné par les blessures, s’appellent Maximilian Philipp (24 ans), Marius Wolf (23 ans) ou Jacob Bruun Larsen (20 ans), tous issus de clubs plus modestes de Bundesliga. Des noms inconnus hors d’Allemagne, mais qui ne devraient pas le rester. En défense, la moyenne d’âge pointait à 20,7 ans samedi contre Leverkusen (4-2). Deux des piliers de l’arrière-garde, Dan-Axel Zagadou et Abdou Diallo, sont français, et promis à un brillant avenir.

Un nouveau modèle économique et sportif

Désormais ancrée dans l’ADN du club, ce pari sur la jeunesse est d’abord née d’un accident. Après le titre de champion d’Allemagne acquis en 2002, l’état-major dépense sans compter sur le marché des transferts, après avoir décidé de se coter en bourse deux ans auparavant. Mais les recrues déçoivent et les résultats médiocres ne permettent pas de rentabiliser les investissements.

L’entraîneur Matthias Sammer décide de réduire son salaire. Ses joueurs le suivent et renoncent à 20 % de leurs émoluments. Un geste qui n’empêche pas le Borussia de frôler la faillite et la relégation en championnat amateur en 2005. Le BvB est obligé de vendre son stade, et de le louer pour pouvoir y évoluer.

Mais la marque « Borussia Dortmund », portée par le club le plus titré de la Ruhr (8 titres en Bundesliga et une Ligue des champions en 1997), son stade mythique du Westfalenstadion – aujourd’hui renommé Signal Iduna Park – et ses couleurs jaunes et noires historiques, pèsent lourd. Sauvé par des investisseurs comme Nike, le Borussia doit aussi sa survie à ses supporteurs, dont la campagne de sensibilisation a permis de repousser le paiement du loyer du stade, et… à son grand rival du Bayern Münich, qui a consenti un prêt de 2 millions d’euros. « On a besoin de concurrence pour grandir. Dortmund nous oblige à nous remettre en cause », justifiait Uli Hoeness, alors président du conseil de surveillance du Bayern.

Pour éviter un nouveau désastre financier, la direction adopte le modèle économique qui fait aujourd’hui sa réussite sportive : jusqu’en 2012, pas un seul joueur n’a coûté plus de 6 millions d’euros, dont les Lewandowski, Hummels ou Gündogan, qui ne sont alors que des talents prometteurs. La plupart seront revendus bien plus cher. Démonstration avec le Français Ousmane Dembélé : acheté 15 millions d’euros à Rennes en 2016, cédé pour 90 millions de plus à Barcelone l’année suivante.

Un recrutement davantage « Borussia compatible »

Malgré les plus-values, ce modèle ne permet pas de rivaliser avec la toute puissance du Bayern Münich, qui s’est spécialisé dans le pillage des meilleurs éléments du BvB (Götze – aujourd’hui de retour à Dortmund – Lewandowski, Hummels) et dispose d’arguments financiers plus convaincants.

Porté sur la voie du renouveau par de jeunes entraîneurs innovants (Jürgen Klopp de 2008 à 2015 et Thomas Tuchel de 2015 à 2017), Dortmund a misé cet été sur un technicien plus expérimenté, tout en conservant le style offensif de Klopp et Tuchel. A 60 ans, Lucien Favre a déjà roulé sa bosse en Bundesliga du côté de Mönchengladbach et reste sur une expérience aboutie à Nice (3e de Ligue 1 en 2016/2017).

Lucien Favre, l’entraîneur du Borussia Dortmund, à Dortmund, le 2 octobre. / Martin Meissner / AP

Réputé pour son management humain, le Suisse s’attache à tisser un lien fort avec son effectif. Chaque matin, avant l’entraînement, il attend tous ses joueurs pour leur serrer la main. « Humainement et sportivement, Lucien Favre est le meilleur technicien que j’aie rencontré », affirmait en début de saison l’idole du club, Marco Reus.

Ce choix d’un entraîneur sensible à l’affect fait partie des initiatives prises pour restaurer « l’ADN » perdu du Borussia, selon Patrick Guillou, à savoir « l’importance de l’institution ».

28 milllions pour un espoir français

Avec l’ancienne gloire locale Matthias Sammer de retour dans l’organigramme du BvB et un recrutement centré sur des joueurs « Borussia compatibles », Dortmund retrouve un esprit collectif qui s’exprime aussi sur le terrain : pas moins de 12 joueurs différents ont déjà trouvé le chemin des filets.

Pour encadrer cette jeunesse, le club a aussi misé cet été sur des joueurs ayant de la « bouteille » : Axel Witsel (Belgique) et Thomas Delaney (Danemark), titulaires dans l’entrejeu de leur sélection au Mondial cet été. « Ils ne sont pas glamours mais apportent du caractère, un leadership qui manquait à l’équipe ces dernières années », assure Patrick Guillou.

Les dirigeants du BvB ont mis les moyens de leurs ambitions avec une balance de transferts négative (75 millions d’euros dépensés pour les arrivées, 50 perçus pour les départs). Le club n’a pas hésité à aligner 28 millions d’euros pour le grand espoir français Diallo, et a recruté malin en se faisant prêter le latéral du Real Madrid Achraf Hakimi, ou le buteur du FC Barcelone Paco Alcacer.

Suffisant pour devancer le Bayern cette année ? « Munich dispose d’un vécu collectif bien plus important, avec une colonne vertébrale de joueurs qui se connaissent depuis longtemps », souligne Patrick Guillou. Mais, signe que l’écart entre les deux géants de la Bundesliga se réduit, les Bavarois n’ont plus « volé » de joueurs au Borussia depuis deux ans.

Le souvenir de l’attentat

Le 11 avril 2017, avant un quart de finale de Ligue des champions contre Monaco, trois bombes avaient explosé au passage du car transportant l’équipe du Borussia Dortmund (BvB) de son hôtel au stade, le Signal Iduna Park, faisant trois blessés, dont un joueur. La décision avait aussitôt été prise d’annuler le match et de le reporter au lendemain. Quelques jours plus tard, un Germano-Russe de 28 ans, Sergej W., sera arrêté : avec cet attentat, il voulait provoquer une chute de l’action en bourse du Borussia, sur laquelle il avait spéculé à la baisse.

Lors des audiences du procès, qui est en cours, Marcel Schmelzer (capitaine de l’équipe en avril 2017) a reconnu que s’il essayait « d’évacuer ce souvenir, il y a toujours des moments où il revient ». « Je n’en ai pas beaucoup parlé avec les autres joueurs, mais de ce que je vois, le sujet a été largement évacué », a assuré, mardi 2 octobre, Manuel Akanji, l’un des actuels joueurs du BvB. Lui-même n’appartenait toutefois pas à cette équipe en 2017. Et, aujourd’hui, un grand nombre de ceux qui y figuraient sont partis dans d’autres clubs.