L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Etre une figure singulière, c’est tout un métier. Le pianiste, rappeur, compositeur et performer Chilly Gonzales exerce le sien avec un étrange mélange de minutie et de désinvolture, qui sont pour beaucoup dans le charme intermittent du documentaire que le journaliste allemand Philipp Jedicke, et ici jeune réalisateur, lui a consacré.

Puisant dans les archives familiales du musicien, dans sa vidéographie, le suivant dans ses aventures les plus récentes (dont une collaboration avec l’Orchestre symphonique de la radio de Vienne), Jedicke réussit à jeter les bases d’une biographie, à cerner la personne publique. Que ce soit en raison de la réticence de Gonzales ou d’une envie de ne pas compliquer le récit, le film ne s’avance jamais jusque dans les zones d’ombre qu’il laisse deviner.

Chilly Gonzales est né Jason Beck, en 1972, dans une famille anglophone de Montréal

Chilly Gonzales est né Jason Beck, en 1972, dans une famille anglophone de Montréal. Son père est l’un des magnats du BTP canadien, son frère, Christophe, a composé la musique de Buffy ­contre les vampires et exerce ses talents à Hollywood. Que ce soit pour attirer l’attention qu’on lui refusait ou parce qu’il ne pouvait s’en empêcher, le jeune Jason a toujours teinté ses dispositions musicales de provocation burlesque. On le retrouve en rappeur dans les années 1990, en compagnon de route de la scène rock de Toronto, dont est issue, entre autres artistes, la chanteuse et auteure-compositrice Feist, avec laquelle il a souvent collaboré.

Pantoufles ou gants blancs

Il s’est réinventé en Chilly Gonzales, pianiste en pantoufles, qui joue souvent en gants blancs et épate le public de l’électro en jouant à une vitesse affolante. Il vit à Cologne après avoir longtemps séjourné à Paris. Tout cela donne l’impression d’une fuite en direction d’un exil idéal, qui reste à trouver. De temps en temps, entre des documents qui témoignent de l’éclectisme des expériences musicales de l’artiste ou de son humour adolescent, surgissent des moments révélateurs. Comme ce jugement du chef d’orchestre Cornelius Meister, qui fait peu de cas des capacités pianistiques de Gonzales, tout en s’amusant de l’avoir accompagné à la tête de son orchestre, comme s’il avait été Martha Argerich ou Claudio Arrau.

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Ou cette tirade du musicien qui raconte avoir retrouvé une liste d’accomplissement établie à l’adolescence. Il se flatte de pouvoir ­cocher chaque item – avoir réuni un public de quelques milliers d’adeptes, être en mesure de jouer la musique qu’il veut sans avoir à rendre de comptes… On voudrait alors que le réalisateur prenne le relais pour définir un peu mieux la place de cet artiste – musicien de talent qui n’a rien révolutionné, célébrité mineure insérée dans un réseau planétaire – dans le système d’art, de gloire et d’argent qui régit aujourd’hui la culture. Ce ne sera pas pour ce film-là, qui se ­contente de satisfaire la curiosité des amateurs, éventuellement de le présenter aux néophytes.

Documentaire allemand de Philipp Jedicke (1 h 20). Sur le Web : www.rouge-distribution.com/2018/07/13/shut-play-piano.html