Devant « La Joconde », de Léonard de Vinci, au Louvre, à Paris, en avril. / Pedro Fiuza / NurPhoto

C’est un curieux contraste. La France n’a jamais accueilli autant de touristes étrangers de son histoire, mais l’industrie touristique tricolore fait un peu grise mine, car les Français ont non seulement tardé à partir en vacances, mais, en plus, ils ont préféré les contrées éloignées aux littoraux hexagonaux cet été.

Ce bilan mitigé n’inquiète pas Jean-Baptiste Lemoyne, le secrétaire d’Etat auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du dossier tourisme, qui se félicite des résultats estivaux. « Juillet et août ont été solides pour le secteur, avec des chiffres excellents pour la clientèle internationale, assure-t-il au Monde. La France va confirmer sa place de champion du monde du tourisme. Après 87 millions de touristes étrangers accueillis en 2017, nous devrions dépasser le seuil de 90 millions [en 2018]. » C’est en ligne avec l’objectif de 100 millions fixé d’ici à 2022.

Selon l’Insee, le nombre de nuitées pour les clients internationaux a progressé de 5,3 % sur les deux mois d’été. Cependant, reconnaît-il, « celles pour la clientèle française sont en recul de 1,2 % sur la même période, car les Français retrouvent le goût du voyage à l’étranger. La Tunisie, la Croatie ou la Grèce ont accueilli nombre de nos concitoyens ».

« Une envie d’ailleurs » pour les touristes français

Les données du Syndicat des entreprises du tour operating, publiées fin septembre, confirment cette tendance. Les voyagistes ont attiré plus de deux millions de clients, en croissance de 10,3 % par rapport à 2017. « Ce n’est pas une totale surprise, juge Didier Arino, du cabinet Protourisme. Le tourisme fonctionne par cycle et, depuis 2009 et la crise, les Français ont littéralement redécouvert le pays. Désormais, il y a une envie d’ailleurs pour diverses raisons. » Le consultant cite pêle-mêle le mauvais temps en début d’année, les grèves au printemps d’Air France ou de la SNCF ainsi que les offres, toujours plus accessibles, des compagnies aériennes à bas coûts…

« Si l’on prend les chiffres globalement, juge M. Lemoyne, la tendance reste tout de même positive pour l’industrie touristique française. Sur les huit premiers mois de l’année, le taux de croissance est de 2,3 %, et de 6,6 % pour la clientèle étrangère. Et les prévisions pour la fin d’année sont bonnes, avec une croissance des réservations d’avions de 4,9 %. Surtout, les réservations en provenance des Etats-Unis sont en hausse de près de 15 % et de plus de 25 % en provenance du Japon. »

Les chiffres, dans leur ensemble, sont certes solides, mais ils cachent une France à plusieurs vitesses. « Si l’on regarde le marché par segment, on remarque que les touristes d’affaires et de congrès sont sur une très bonne dynamique, explique Didier Arino. De même, l’hôtellerie de luxe est sur une bonne tendance, avec le retour des clients étrangers. Or ces deux segments sont concentrés en Ile-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur [PACA]. Pour les autres régions, c’est beaucoup plus compliqué. »

L’Ile-de-France et PACA ont réalisé un premier semestre record

De fait, l’Ile-de-France et PACA ont réalisé un premier semestre record. En Ile-de-France, le comité régional du tourisme indiquait, courant août, un résultat historique avec 17,1 millions de nuitées hôtelières pour les six premiers mois de l’année, en augmentation de 4,1 % sur un an, « et ce, malgré les grèves dans les transports ferroviaires qui ont affecté essentiellement les clientèles françaises et, dans une moindre mesure, quelques clientèles européennes de proximité », a relevé l’organisme francilien.

En PACA, même écho. La région provençale a affiché, au premier semestre, « le meilleur niveau de fréquentation touristique jamais enregistré depuis dix ans », selon le comité régional du tourisme provençal, avec 10,1 millions de nuitées en hôtellerie. D’autres destinations comme Bordeaux, le Mont-Blanc ou le Val de Loire sont également très dynamiques. En revanche, les zones rurales et le littoral atlantique ont particulièrement souffert cet été, avec une stabilisation, voire une baisse importante des recettes pour les hôteliers et restaurateurs avec l’absence de la clientèle hexagonale.

Au niveau général, « la dépense moyenne par visiteur international était en augmentation de 10,7 % l’an dernier, alors qu’en Espagne elle était en recul de près de 6 %, indique M. Lemoyne. Notre objectif est de passer de 54 milliards à 60 milliards d’euros de recettes au total en 2020. C’est le niveau atteint par l’Espagne [en 2017]. »

Preuve de la dynamique des dépenses des clientèles internationales, Planet, l’un des spécialistes de la détaxe réservée aux visiteurs extra-européens, a constaté, pendant l’été, une croissance des ventes de 4 % à 6 % sur juillet et août. « Par rapport au reste de l’Europe, la France et l’Italie se distinguent franchement, alors que les ventes sont en baisse au Royaume-Uni », indique Denis Leroy, le PDG de Planet en France et pour le Benelux.

« Mieux irriguer les territoires »

Reste que la polarisation des visiteurs vers cinq à six zones spécifiques en France inquiète. Certains territoires flirtent avec le « surtourisme » tant décrié depuis quelques mois. « Les touristes internationaux, qui portent la croissance, ont tendance à visiter les lieux les plus connus, confirme le secrétaire d’Etat. Nous devons donc prévenir tout risque de saturation touristique en développant, par exemple, davantage la connectivité directe des grands aéroports des métropoles françaises avec les grandes nations mondiales. »

Selon Didier Arino, le « surtourisme » est à relativiser en France, car le pays est plus divers que d’autres destinations. Pour le consultant, « nous avons surtout un problème de sous-tourisme. Si sur 10 % du territoire, nous avons un très grand nombre de voyageurs, dans les 90 % restants, la fréquentation est en berne. »

Pour le gouvernement, « il vaut mieux irriguer les territoires », assure M. Lemoyne. Pour cela, Atout France, l’opérateur national qui gère la promotion du tourisme en dehors de nos frontières, développe avec les régions et la Banque des territoires (Caisse des dépôts et consignations) un dispositif, doté de 500 millions d’euros, afin de favoriser la montée en gamme des hébergements et équipements touristiques.

Les chiffres

158,9 milliards

C’est, en euros, le chiffre d’affaires du tourisme en France pour l’année 2016, dernier millésime publié par l’Insee. Cela correspond à 7,1 % du produit intérieur brut.

87 millions

C’est le nombre de touristes internationaux accueillis en France en 2017. En 2018, ce nombre devrait dépasser 90 millions. Ils représentent environ 54 milliards d’euros de recettes pour le pays.

307,2 millions

C’est le nombre de nuitées enregistrées par l’ensemble de l’offre hôtelière française en 2017, en progression de 6,1 % par rapport à 2016.