Au colombarium de Caen. / AFP/MYCHELE DANIAU

Les sondeurs d’Ipsos ont été les premiers surpris. Depuis des années, ils interrogent régulièrement les Français sur leur rapport à la mort, pour le compte des services funéraires de la ville de Paris. Question principale : « Pour vos propres obsèques, que préféreriez-vous : plutôt une inhumation, ou plutôt une crémation ? » Pendant des années, de 2008 à 2015, la part de ceux penchant pour être incinérés a stagné autour de 52 %.

Mais la dernière vague, réalisée du 30 août au 7 septembre auprès de 1 000 personnes, marque une spectaculaire remontée de la préférence pour la crémation. Cette solution est désormais privilégiée par 63 % des personnes interrogées, tandis que la part des tenants de l’enterrement classique tombe à 37 %, un plus bas historique, selon les données dévoilées jeudi 4 octobre.

Pour un sujet de ce type, sur lequel les mentalités n’évoluent souvent que lentement, pareille augmentation est « violente », juge Etienne Mercier, d’Ipsos. « On a vérifié les chiffres, pour éviter tout biais, et on constate une vraie accélération », ajoute sa collègue Amandine Lama. Que s’est-il passé pour qu’en trois ans, les esprits changent à ce point ? Le sondage n’en dit mot. Les professionnels ont néanmoins quelques idées.

Une progression aussi chez les croyants

Le premier crématorium français a été ouvert en 1889 à Paris, au cimetière du Père-Lachaise. Neuf étaient recensés en 1980. On en compte à présent près de 190, selon la Fédération française de crémation. Le dernier a été inauguré le 18 septembre à Beaumont-lès-Valence (Drôme). Environ 37 % des Français sont désormais incinérés dans ces installations, contre 0,4 % en 1975. Ce taux devrait continuer à progresser, compte tenu des aspirations relevées dans les sondages.

Au fil du temps, la crémation s’est ainsi inscrite très solidement dans le paysage français, et elle semble de plus en plus acceptable socialement. Comme une lente maturation, suivie d’une cristallisation rapide.

C’est chez les croyants que le mouvement récent a été le plus net. Pendant longtemps, ils ont résisté à la crémation. Les grandes religions monothéistes ne s’y montrent guère favorables. Le Consistoire l’interdit, de même que l’Eglise orthodoxe et les responsables de l’islam. L’Eglise catholique la tolère depuis 1963, tout en recommandant l’enterrement.

« Tout se joue sur le rapport au corps »

Interrogés en septembre, les croyants et pratiquants restent majoritairement partisans de l’inhumation (61 %). Mais la part de ceux tentés par la crémation a bondi de 19 points en trois ans, selon Ipsos. « Quelque chose paraît s’être débloqué », commente Amandine Lama. La hausse est également très forte (+ 13 points) chez ceux qui se déclarent croyants sans pratiquer pour autant.

Au-delà de la religion et du respect des traditions, « tout se joue sur le rapport au corps », avance Etienne Mercier, d’Ipsos. La crainte de voir disparaître brutalement leur corps est au cœur des motivations des jeunes, plus favorables que leurs aînés à l’enterrement classique, relève le sondeur. Nombre d’entre eux souhaitent que leurs proches puissent venir se recueillir « sur une tombe dans laquelle il y a un corps ».

Les personnes plus âgées semblent moins attachées à leur corps, et mettent en avant d’autres préoccupations, inverses : « ne pas laisser de traces » après sa mort, « ne pas prendre de place », ne pas peser sur les autres. Des souhaits qui amènent 70 % des plus de 60 ans à se déclarer favorables à une crémation pour eux-mêmes.

Reportage dans M Le magazine du Monde : Crémation, le casse-tête de la dispersion des cendres