Le parc éolien Quatre Vallées 1, construit sur la commune de Coole (Marne), en septembre 2010. / SIEMENS GAMESA

« On est au dos mur, on n’a plus le choix », résume Jean-Pierre Bouquet. Pas facile d’être maire de Vitry-le-François (Marne), ville ouvrière de 13 000 habitants plantée entre Châlons-en-Champagne et Troyes, sur la « diagonale du vide ». Détruite à 96 % pendant la seconde guerre mondiale, cette commune avait livré les clés de sa reconstruction et de son développement à un patronat industriel et à son puissant bailleur social, Vitry Habitat, devenu peu à peu propriétaire des deux tiers des logements de la ville. Aujourd’hui, Vitry-le-François, qui fut l’incarnation d’une certaine France industrielle et rurale des « trente glorieuses », assiste à l’effondrement de ce modèle.

Les usines – plasturgie, pièces de métal pour l’automobile, tuyaux, emballages – ferment ou s’automatisent, les jeunes sont aspirés par les métropoles, les commerces vacants du centre-ville trouvent difficilement repreneurs, la population vieillit, les cadres ou professions intermédiaires se sont installés dans les campagnes… Les HLM, érigés à la chaîne dans les années 1950 et 1960 pour loger les familles d’ouvriers, se sont peu à peu vidés, hérissant la ville de tours fantômes aux volets baissés. Récemment, certaines ont été démolies pour adapter l’ensemble à la nouvelle démographie – depuis la « grande époque », la ville a perdu 7 000 habitants.

Mais Jean-Pierre Bouquet veut croire à la résurrection de cette cité créée par François Ier, roi qui a donné à Vitry son nom et son emblème, la salamandre. « Un animal dont on dit qu’il résiste aux flammes », glisse l’élu socialiste. Sa porte de secours, il la voit dans la transition énergétique. Et dans la sortie du modèle actuel, où la consommation d’énergie de ses habitants, logés dans un parc immobilier vieillissant, est 50 % plus élevée que la moyenne française. Déjà, la communauté de communes abrite un vaste parc éolien. La ville vient surtout de racheter l’immense chaufferie au bois du bailleur social, mal entretenue et en surcapacité, pour la moderniser et lui adjoindre, grâce à une PME venue s’installer à Vitry, une installation lui permettant de produire de l’hydrogène « vert ».

Des panneaux solaires sur les terrains vacants

Le maire va aussi lancer, grâce à des financements de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et à un partenariat avec l’école d’ingénieurs Centrale Supélec, un projet pilote de stations-service d’hydrogène alimentées par de la biomasse, qui serviront dans un premier temps à faire tourner une flotte de véhicules municipaux. Un dispositif avec lequel le maire espère prouver la viabilité de cette technologie, créer quelques emplois et dégager des revenus. Quant aux terrains vacants, ils sont mis à profit : la municipalité a, par exemple, décidé d’en louer certains à une société qui va y installer des panneaux solaires, des éoliennes et une unité de pyrolyse pour recycler les plastiques et fabriquer du carburant.

Miser sur les technologies « écologiques », l’autonomie énergétique ou alimentaire et la qualité de vie, plutôt que de tenter d’attirer en vain de nouveaux habitants

Se verdir pour ne pas mourir. Miser sur les technologies « écologiques », l’autonomie énergétique ou alimentaire et la qualité de vie, plutôt que de tenter d’attirer en vain de nouveaux habitants, de nouvelles entreprises tertiaires ou des centres commerciaux. Depuis dix ans, des trajectoires de ce type sont observées et analysées par des chercheurs en sciences sociales aux Etats-Unis, en Allemagne ou en France, et rassemblées sous un même vocable : les shrinking cities (« villes qui rétrécissent »).

Aux Etats-Unis, ces stratégies urbaines ont vu le jour sur les décombres de la crise des subprimes, à partir de 2007. Commerces et maisons fermés, rues abandonnées, nature qui reprend ses droits… Les images spectaculaires de Detroit ou de Cleveland en ruine ont fait le tour du monde. Le premier effet de cette crise, c’est qu’elle a d’abord laissé beaucoup de terrains disponibles. « Un foncier qui n’est pas convoité par des promoteurs ou des grands groupes d’aménagement urbain, et qui a alors été le levier pour développer des usages innovants, souvent liés à la transition énergétique », observe Max Rousseau, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et spécialiste des shrinking cities.

Combinée à l’émergence des énergies renouvelables, qui prennent tout leur sens lorsqu’elles sont produites localement, et à la montée de la prise de conscience écologique, cette situation a donné naissance à de nouveaux types de politique : agriculture urbaine, reforestation, création de chemins de randonnée urbains à la place des routes devenues inutiles, espaces festifs ou associatifs d’urbanisme éphémère, comme La Cartonnerie à Saint-Etienne…

La ville en déclin, une idée taboue

A Decazeville (Aveyron), une ville industrielle qui compte 21 % de logements vacants et a perdu presque la moitié de ses habitants en quarante ans, l’une des friches industrielles accueille depuis un an une immense ferme de panneaux solaires, qui fournit de l’électricité pour environ 6 000 foyers. « Nous n’avions pas la possibilité de reconvertir ce terrain pendant trente ans, à cause de la pollution. Une des seules choses que l’on pouvait faire, c’était des panneaux solaires. Donc on a lancé un appel d’offres. Le groupe Valeco nous loue les terrains, et nous verse une partie des revenus », explique André Martinez, président de la communauté de communes du Bassin Decazeville-Aubin.

La ferme de panneaux solaires de Decazeville (Aveyron), en octobre 2017. / IEMENS GEMESA RENEWABLE ENERGY

La collectivité aimerait aussi utiliser la chaleur produite à l’intérieur des couloirs des mines pour créer de l’énergie grâce à la géothermie. Sur un autre ancien site industriel racheté à l’ancien établissement public Charbonnages de France, un parc naturel a été créé, tandis qu’une forêt de robiniers, le bois jadis utilisé pour soutenir les galeries, a poussé naturellement. Aujourd’hui, la collectivité locale va exploiter cette essence pour créer des meubles et développer une filière, en partenariat avec le lycée professionnel.

« Pour ces villes, ce déclin est un moyen d’offrir une meilleure qualité de vie à ceux qui restent, et permet de tisser un nouveau lien social. Mais cette approche n’a pas réponse à tout »

Villes mortes, villes vertes ? A Vitry-le-François, Jean-Pierre Bouquet réfléchit à un plan « biodiversité » pour sa ville, a « déminéralisé », c’est-à-dire ôté du goudron d’une grande avenue devenue moins passante, et continue sa politique de dé-densification de certains quartiers de tours HLM. « Pour ces villes, ce déclin est un moyen d’offrir une meilleure qualité de vie à ceux qui restent et permet de tisser un nouveau lien social. Mais cette approche n’a pas réponse à tout. Les bénéfices de ces politiques ne résolvent pas les difficultés sociales des habitants. Elles peuvent générer des effets ambigus de gentrification, ou de rejet de la densité en tant que telle. Mais surtout, c’est un discours compliqué à assumer, l’idée d’une ville en déclin reste taboue en France », affirme Vincent Béal, sociologue et maître de conférences à l’université de Strasbourg, spécialiste des villes en décroissance.

« La France se distingue clairement de l’Allemagne et des Etats-Unis, en ceci qu’il n’existe aucune politique publique de gestion de la décroissance. La mise à l’agenda de ce problème structurel, qui concerne près d’un tiers des aires urbaines en France, est encore timide », affirment les chercheurs français du projet de recherche « Altergrowth » (politiques urbaines alternatives pour les villes en déclin), qui étudient les shrinking cities.

Ainsi, à Vitry-le-François, il n’est pas question d’assumer la décroissance, mais plutôt de construire une image de « ville à la campagne », où l’on peut aussi travailler à distance : un espace de coworking va ouvrir l’année prochaine au centre-ville. Le maire a également dans ses cartons un projet de marché de producteurs locaux, qui permettra aux habitants de s’alimenter en circuit court. Après avoir survécu à deux bombardements, pas de raison pour que la salamandre ne renaisse de ses cendres.