Oeuvres du Britannique d’origine ghanéenne Larry Achiampong, où les visages du Christ sont recouverts de faces noires schématisées. / DR

Dédiée aux artistes du continent africain, la Foire 1:54, qui a ouvert ses portes mercredi 3 octobre à Londres, n’aurait pu espérer un meilleur alignement des planètes. Les artistes africains-américains, ainsi que leurs confrères sud-africains, ont le vent en poupe. On les retrouve en ville dans des galeries puissantes comme David Zwirner et Marian Goodman, mais aussi sur la foire Frieze.

Profitant d’une vogue à laquelle elle a incidemment contribué, 1:54 s’est donc renforcée. S’il alignait à peine dix-sept galeries en 2013, l’événement lancé par la Marocaine Touria El-Glaoui en rallie quarante-trois cette année. Signe de son aura grandissante, il a attiré des enseignes plus habituées aux salons de première division comme la Parisienne Nathalie Obadia, à l’affiche avec un solo show de l’Egyptien Youssef Nabil et un projet du Guinéen Nu Barreto.

La présence de grands conservateurs

Malgré le risque financier que représente le déplacement londonien, les galeries africaines se font un devoir d’être là. « Lorsque nous avions signé pour la Foire, le rand n’avait pas autant dégringolé, soupire Ashleigh McLean, directrice de la galerie sud-africaine Whatiftheworld. Mais on est revenu car 1:54 nous a été très profitable en 2017. » La galeriste tunisienne Aicha Gorgi abonde : « Je vis dans un petit pays étouffant, où il y a peu de ventes et peu de gens pour voir nos artistes. On doit absolument sortir ! »

Le bouche-à-oreille positif est désormais tel que, dès le prévernissage mardi, de grands conservateurs, tel Ralph Rugoff, commissaire de la prochaine édition de la Biennale de Venise, déambulaient consciencieusement dans les allées. Quant aux collectionneurs d’art contemporain, échaudés par les œuvres parfois creuses et souvent chères présentées au même moment sur Frieze, ils répètent en boucle : « Ailleurs on voit des produits, ici on voit des œuvres. »

Et plus encore des raretés, comme les peintures chamaniques de l’artiste haïtien Robert Saint-Brice, datées des années 1950-1960, présentées par The Gallery of Everything, ou les sculptures de Bodys Isek Kingelez chez Magnin. Surtout, on découvre ici de très jeunes artistes d’une maturité saisissante.

Goût de la satire

Par qui commencer ? A n’en pas douter par la Sud-Africaine Lebohang Kganye, représentée par la galerie Afronova. A 27 ans, elle enchaîne les récompenses depuis les Rencontres de Bamako en 2015. Vu l’attention prononcée de Ralph Rugoff pour son travail, il ne serait pas étonnant de la retrouver à la Biennale de Venise en 2019. Dans sa série la plus connue, la jeune femme introduit sa propre silhouette dans les photos de jeunesse de sa mère, reprenant à des années d’écart les mêmes poses et vêtements. Le résultat troublant traduit une filiation qui se cherche, une histoire qui bégaye.

Non moins prometteur, l’artiste ougandais Ian Mwesiga, 29, ans, offre une version contemporaine noire du mythe d’Adam et Eve. Et, détail savoureux, la fameuse pomme de la discorde est cette fois croquée par l’homme. Le Britannique d’origine ghanéenne Larry Achiampong, 34 ans, montré par la galerie Copperfield, s’attaque aussi à l’évangélisation forcée de l’Afrique. « Pourquoi Jésus devrait-il être forcément blanc ? », semble-t-il demander dans cette œuvre où les différents visages du Christ sont recouverts de faces noires schématisées. Il appose aussi ces têtes rondes traitées façon black face sur les portraits de sa famille, rappel grinçant d’un racisme encore tenace. Même goût de la satire dans les planches de BD d’Anton Kannemeyer qui, par le biais d’une imagerie inspirée de Tintin au Congo, dénonce les relents ségrégationnistes de la société sud-africaine.

« Adam of Genesis », de l’artiste ougandais Ian Mwesiga. / DR

« Eve of Genesis », de l’artiste ougandais Ian Mwesiga. / DR

Mais justement, une foire centrée sur le continent africain ne ghettoïse-elle pas des artistes qui n’attendent qu’une chose, être mêlés aux créateurs du monde entier ? Pour les galeries participantes, cette spécificité semble encore nécessaire. « On n’a encore gratté que la surface de ce qu’est la création en Afrique », assure Rakeb Sile, directrice de la galerie éthiopienne Addis Fine Art. « Le focus est important, car il nous amène des visiteurs concentrés, qui savent pourquoi ils sont là », renchérit Tobey Clark, de la Vigo gallery, qui présente l’œuvre la plus chère du salon, un triptyque du Soudanais Ibrahim El-Salahi pour un million de dollars.

Un niveau de prix rare quand la majorité des œuvres exposées valent moins de 10 000 dollars (8 681 euros). « C’est un moment intéressant pour les collectionneurs qui ont l’œil, poursuit Rakeb Sile. Les artistes africains sont encore sous-cotés mais ça ne va pas durer ! » Il suffit de voir les record engrangés par les artistes africains-américains pour s’en convaincre.

Foire 1:54, jusqu’au 7 octobre, Somerset House, Londres www.1-54.com