La catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011 a pesé dans la baisse des candidatures aux formations à l’INSTN. (Ici, vue de cuves géantes à Fukushima, où sont stockés des millions de mètres cubes d’eau contaminée.) / Tomohiro Ohsumi / AP

A l’âge où les ados punaisent des portraits de sportifs dans leur chambre, « moi, j’étais fasciné par l’énergie que contient l’atome et les opportunités extraordinaires du nucléaire », raconte Jean-Baptiste Potoine. Dix ans plus tard, le jeune ingénieur des arts et métiers n’a rien lâché de son rêve. A 24 ans, il suit une année de spécialisation en génie nucléaire à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN), grande école du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à Orsay (Yvelines).

Une filière d’avenir, quel que soit l’épilogue du débat sur la transition écologique en France. Car si les nouvelles centrales se font rares dans l’Hexagone (la dernière connectée au réseau, Civaux, l’a été en 2002), le démantèlement de certaines autres ouvre un marché, dont on ne pourra pas faire l’économie. Il durera au moins jusqu’à la fin du siècle en France et un peu partout sur la planète. Un terrain d’expérimentation immense pour les aficionados de l’atome.

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« Le parc nucléaire européen vieillit, constatait la Commission européenne, en mai 2017, dans une communication sur le programme indicatif nucléaire (PINC). On compte actuellement 129 réacteurs nucléaires en fonctionnement dans quatorze Etats membres. L’âge moyen de ces réacteurs est de trente ans. » En l’absence de programme de prolongation de la durée de leur exploitation, « environ 90 % des réacteurs existants seraient fermés d’ici à 2030 », poursuit la Commission.

Même si de nombreux pays européens, dont la France, continuent de s’appuyer sur l’énergie nucléaire pour produire une partie de leur électricité, le démantèlement et l’assainissement des sites sont dès maintenant un enjeu majeur. « Et les entreprises européennes ont la possibilité d’occuper la première place mondiale dans ce secteur », affirme-t-on à Bruxelles.

Besoin de 4 000 experts nucléaires par an

Problème : le vieillissement des installations nucléaires et le besoin accru dans le domaine du démantèlement ne s’accompagnent pas d’une hausse des vocations pour la filière. Une étude réalisée en 2012 par l’Observatoire européen des métiers du nucléaire (EHRO-N) a montré un manque important dans ce secteur, qu’il s’agisse des ingénieurs, physiciens, radiochimistes et experts en radioprotection.

En effet, en Europe, les formations existantes en relation avec le domaine de l’énergie permettent de diplômer quelque 2 800 experts par an. Or, EHRO-N a identifié que le besoin européen en experts nucléaires pour le fonctionnement des réacteurs est de 4 000 par an, jusqu’à au moins 2020. « Soit un manque de 1 200 experts par an, sinon plus – car une partie des 2 800 jeunes formés finissent par changer de domaine et s’orienter vers les énergies renouvelables », analyse Abdesselam Abdelouas, enseignant-chercheur à l’IMT Atlantique. Cette école des mines ouvrira, à la rentrée 2019, un nouveau master dédié à la gestion des déchets radioactifs et au démantèlement des installations.

Secteur pérenne

Ce manque d’appétence pour la filière, Constance Coston, directrice de formation en génie nucléaire à l’INSTN, le relie à la catastrophe nucléaire de Fukushima, au Japon, en 2011. « Le nombre d’étudiants qui candidataient à nos formations est tombé d’environ 30 %, révèle-t-elle. Cet accident a enclenché une perception de danger à travailler dans les entreprises du secteur qui n’ont pas l’adhésion du public. »

La lenteur de la construction du réacteur EPR n’arrange pas les choses. « Commencé en 2007, le chantier devait durer cinq ans, mais la centrale ne devrait être opérationnelle qu’en 2020 cela ne renvoie pas l’image d’une industrie d’avenir », regrette l’enseignante. Quant à l’enjeu de la fin du nucléaire… « les jeunes veulent construire. Ils ne veulent pas démanteler », constate Abdesselam Abdelouas. « Personne n’a envie de s’occuper des poubelles, ironise Pierre Benech, administrateur général de Grenoble INP. Les pronucléaires remplissent plus nos cursus que les anti. »

Pourtant, la filière nucléaire, pour le seul domaine du démantèlement, a de beaux jours devant elle. Un rapport de la Cour des comptes de 2012 note que le démantèlement des seules installations d’EDF, soit 58 réacteurs, « est estimé à 18,4 milliards d’euros », une estimation qui se situe « dans la fourchette basse », précisent les auteurs. Ce type de chantier durant entre vingt et cinquante ans, plusieurs générations de techniciens et d’ingénieurs sont donc encore indispensables. « Le secteur à l’avantage de la pérennité, cela donne de la visibilité aux entreprises, et les entreprises adorent ça », souligne Philippe Corréa, directeur de l’INSTN.

Situations complexes et inédites

Quant aux compétences exigées, elles sont multiples et complexes, à l’image des travaux qu’il faut réaliser avec des contraintes de sûreté drastiques. Jean-Marie Détriché, spécialiste en maîtrise d’ouvrage, résume ainsi les missions : « Il faut écrire le scénario du démantèlement, l’enchaînement des opérations, maîtriser les processus, les règlements, définir le choix des procédés, la robotisation des interventions, estimer les coûts, s’adapter à la transition numérique… »

Des ingénieurs multitâches, donc, « aptes à être compétents dans tous les secteurs », estime Philippe Corréa. « C’est l’intérêt du boulot, confirme Julien Roustang, 30 ans, diplômé du master d’ingénierie spécialisé “assainissement et démantèlement des installations nucléaires” de l’université de Grenoble-Alpes et employé de Millenium, société spécialisée en sûreté nucléaire. Nous passons sans cesse d’un métier à un autre, face à des situations complexes et inédites. »

Enfin, la maîtrise de l’outil nucléaire est stratégique en France. Maintenir le parc en l’état ou le démanteler nécessite « connaissance, expérience et expertise, et pour le bien commun, il faut savoir transmettre », avertit Philippe Corréa. « Il y a urgence », appuie Abdesselam Abdelouas.

« Le Monde » organise son Salon des grandes écoles les 10 et 11 novembre

La 13e édition du Salon des grandes écoles (SaGE) aura lieu samedi 10 et dimanche 11 novembre à Paris, aux Docks, cité de la mode et du design (13e arrondissement), de 10 heures à 18 heures.

Plus de cent cinquante écoles de commerce, d’ingénieurs, IAE, IEP, écoles spécialisées et prépas y seront représentées, permettant d’échanger sur les différents programmes et leur accessibilité (post-bac, post-prépa ou après un bac + 2, + 3 ou + 4). Lycéens, étudiants et parents pourront également assister à des conférences thématiques animées par des journalistes du Monde Campus. Une équipe de vingt coachs pourra également conseiller lycéens, étudiants et parents pour définir leur projet d’orientation, préparer les concours ou rédiger leur CV.

L’entrée en sera gratuite, la préinscription en ligne est conseillée pour accéder plus rapidement au Salon.

Liste des exposants et informations pratiques sont à retrouver sur le site Internet du SaGE.