Harvey Weinstein, inculpé pour viol, sort menotté d'un commissariat
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Un an après les révélations sur son comportement de prédateur sexuel, Harvey Weinstein ne sait pas encore quel sort lui réserve la justice, mais une chose est sûre : il va vivre un parcours judiciaire complexe et varié, qui durera des années.

Le premier magistrat à s’attaquer à l’affaire Weinstein a été le procureur du district de Manhattan (à New York), Cyrus Vance — celui-là même qui avait mené la procédure contre Dominique Strauss-Kahn, il y a sept ans. En mai 2018, après plusieurs mois d’enquête, il inculpe Harvey Weinstein, devant un tribunal de New York, de viol au premier degré (avec usage de la force) et au troisième degré (sur personne incapable de donner son consentement), ainsi que « d’actes sexuels forcés » sur deux femmes, dont l’identité n’a pas été révélée.

Les faits remontent à 2004 et à 2013. L’accusé risque en théorie jusqu’à vingt-cinq ans de prison. Arrêté et interrogé, il plaide non coupable. En attendant son procès, il est libéré contre une caution de 1 million de dollars. Il n’a pas le droit de voyager hors des Etats de New York et du Connecticut, et doit porter un bracelet électronique.

De quoi payer son armée d’avocats

Depuis, il vit confortablement, avec une partie de sa famille, dans sa splendide maison de Westport (Connecticut), une station balnéaire chic à cinquante kilomètres de New York. En fait, il a dû vendre la maison à l’un de ses riches voisins pour 16 millions de dollars, mais le nouveau propriétaire lui permet d’y habiter encore quelque temps. Cette vente a eu lieu dans le cadre d’un arrangement financier avec son épouse, la styliste britannique Georgina Chapman, qui a quitté le domicile conjugal peu après les révélations d’octobre 2017.

Il a aussi vendu deux autres propriétés, à New York et à Long Island, ce qui lui a rapporté des dizaines de millions de dollars — de quoi payer son armée d’avocats. Sa maison de Los Angeles (Californie), où il ne peut plus aller à cause de son assignation à résidence, a été mise en location.

En juillet, l’ex-producteur est à nouveau inculpé à New York, cette fois d’« acte sexuel criminel » et d’« agression » d’une femme à qui il aurait imposé une « pratique sexuelle orale » en 2006. Compte tenu des autres charges, il risque désormais la perpétuité. A nouveau, il plaide non coupable. Le procureur demande qu’il soit contraint de déménager pour venir s’installer à New York, dans sa juridiction, mais son avocat Benjamin Brafman convainc le juge de laisser son client vivre à Westport, puisqu’il ne possède plus d’appartement à New York…

Des plaintes aux Etats-Unis et en Europe

Steven Ferdman / AFP

En août, la série continue. Un juge fédéral de New York déclare recevable une nouvelle plainte pour « trafic sexuel », déposée par l’actrice britannique Kadian Noble, qui accuse Harvey Weinstein de l’avoir agressée sexuellement dans la salle de bain d’une chambre d’hôtel en 2014, lors du Festival de Cannes. L’avocate de l’accusé dans cette procédure fédérale, Phyllis Kupferstein, s’est étonnée que la loi sur la répression du trafic sexuel soit invoquée dans ce genre d’affaire, car elle a été conçue pour lutter contre les réseaux de prostitution. Dans ce cas, le recours à cette loi permettrait notamment de contourner les problèmes de territorialité, car l’agression a eu lieu en France.

Deux autres enquêtes sont en cours à New York. L’une fait suite aux déclarations à la presse de l’actrice Paz de la Huerta, qui accuse l’ex-producteur de l’avoir violée deux fois, chez elle, à la fin de 2010. L’autre vise les liens entre Harvey Weinstein et la société de sécurité israélienne Black Cube, qu’il aurait engagée pour espionner et harceler des victimes qui menaçaient de le dénoncer.

Harvey Weinstein risque aussi d’être inculpé dans d’autres villes. En Californie, le procureur de Los Angeles enquête sur six plaintes déposées contre lui pour agressions sexuelles, dont trois à Beverly Hills. Par ailleurs, en Grande-Bretagne, la police de Londres a enregistré à ce jour seize plaintes à son encontre émanant de onze femmes, pour des faits remontant parfois aux années 1990. Elle mène des enquêtes qui pourraient déboucher sur des mises en examen devant des tribunaux anglais.

Chargée de « préparer » les rencontres sexuelles

En plus des procès au pénal, Harvey Weinstein est attaqué au civil, les plaignantes réclamant cette fois des dommages et intérêts. A New York, l’une de ses anciennes assistantes, Sandeep Rehal, a porté plainte pour harcèlement et discrimination. Selon ses dires, elle était chargée de « préparer » les rencontres sexuelles de son patron avec ses diverses partenaires, y compris les réservations de chambre ou l’achat de lingerie fine et d’ampoules contre le dysfonctionnement érectile.

Quand les rencontres avaient lieu au siège de la société, Mme Rehal devait ensuite faire le ménage. Par ailleurs, elle était constamment soumise à des remarques dénigrantes ou vulgaires proférées par Harvey Weinstein ou par son frère et associé, Bob Weinstein. L’Etat de New York a décidé d’élargir ce dossier en ouvrant une enquête visant les ex-cadres de la défunte société The Weinstein Company, pour violation des droits civiques de leurs employés.

Toujours au civil, à Los Angeles, l’actrice Ashley Judd réclame une compensation financière à Harvey Weinstein, qu’elle accuse d’avoir nui à sa carrière par vengeance parce qu’elle avait refusé un rapport sexuel. En septembre, la plainte a été jugée recevable.

Et quelques faits prescrits

L’ex-producteur d’Hollywood Harvey Weinstein (à gauche) et son avocat, Benjamin Brafman, à New York, en juin. / DON EMMERT / AFP

Pendant ce temps, la première procédure pénale new-yorkaise suit son cours, sans hâte. Une audience préliminaire, qui aurait dû se tenir à la fin de septembre, a été repoussée au 8 novembre. L’avocat Benjamin Brafman tente d’empêcher le procureur de faire entendre comme témoins des femmes affirmant avoir été agressées par son client, mais qui ne peuvent pas porter plainte car les faits sont prescrits.

Aiguillonnée par l’opinion et par les médias, la machine judiciaire new-yorkaise est peut-être en train de s’emballer. A la demande de l’association Time’s Up, créée par un groupe d’actrices dans la foulée de l’affaire Weinstein, la procureure générale de l’Etat, Barbara Underwood, a ouvert une « enquête indépendante » visant le procureur Cyrus Vance : on le soupçonne d’avoir enterré des plaintes contre Harvey Weinstein au cours des années précédentes, avant que le scandale n’éclate.

Le gouverneur de l’Etat a demandé une suspension de cette procédure, pour ne pas gêner le procureur à ce stade délicat de l’affaire, mais elle pourrait reprendre prochainement.