Le gynécologue congolais Denis Mukwege en novembre 2012 à Stockholm. / Henrik Montgomery / AP

Julienne Lusenge reste hantée par les souffrances et ne cède pas à l’enthousiasme. Pour cette amie et collègue du docteur Denis Mukwege, qui a reçu, vendredi 5 octobre, le prix Nobel de la paix conjointement avec la yézidie Nadia Murad, la situation des femmes victimes de violences dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) empêche toute réjouissance. « On veut que ce prix soit accompagné d’actions concrètes de la communauté internationale sur le terrain pour restaurer la paix dans notre région », affirme cette militante, présidente de Solidarités des femmes pour la paix et le développement intégral (Sofepadi).

Elle aussi a été récompensée de plusieurs prix, dont le 2018 International Women’s Rights Award, pour son travail mené depuis trois décennies auprès des femmes violées, mutilées lorsqu’elles ne sont pas abattues par des membres des groupes armés dont regorge toujours l’est de la RDC. « Les prix, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant, d’autant que notre gouvernement est totalement indifférent à ces reconnaissances, ne nous ménage pas, et que les Congolais continuent de mourir, confie Mme Lusenge, jointe au téléphone à Bruxelles. Plus qu’un prix, le docteur Mukwege veut la paix. »

« Guerre sur le corps des femmes »

Lauréat en 2014 du prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, le gynécologue Denis Mukwege a créé en 1999 l’hôpital de Panzi, à Bukavu, capitale du Sud-Kivu, où il pratique la chirurgie réparatrice pour soigner des femmes victimes de viols. Cette région orientale de la RDC sombrait alors, pour la seconde fois, dans la guerre (1998-2003) et voyait s’affronter des soldats de huit pays ainsi que des milices improvisées.

Le viol y est une arme de guerre redoutable, qui tue les âmes et laisse errer des milliers de « mortes-vivantes » dans les villes et les villages de l’est du plus grand pays d’Afrique francophone. Le docteur Mukwege a des mots plus justes et parle, lui, de « guerre sur le corps des femmes ». Cette tragédie se poursuit dans une région marquée par une augmentation des violences sexuelles depuis 2017, selon le médecin.

A plus de 2 000 km de Bukavu, dans la grouillante mégapole de Kinshasa, l’annonce de ce prix Nobel de la paix décerné à un Congolais suscite des réactions de joie, de fierté et d’espoir. Le pays gouverné depuis 2001 par Joseph Kabila, dont le dernier mandat s’est terminé il y a deux ans, est censé tenir des élections le 23 décembre dans un contexte de crise politique. Ces dernières années, le docteur Mukwege s’était prononcé pour une « transition sans Kabila » et avait joint sa voix à celle des intellectuels et opposants qui mettaient en garde contre un éventuel troisième mandat. Il s’est toutefois abstenu de soutenir un candidat et de se présenter lui-même.

« Manipulé politiquement »

« Nous le félicitons pour cette distinction qui est un honneur, et c’est une fierté pour le gouvernement, d’autant plus qu’il s’occupe d’un hôpital public, déclare de Kinshasa le ministre congolais de la communication, Lambert Mendé. C’est un compatriote avec lequel on a pu être en désaccord et qui a pu être manipulé politiquement, mais là ce n’est pas de politique dont il s’agit mais de son travail remarquable pour aider les femmes congolaises victimes de violences sexuelles, qu’il sauve avec courage et détermination. »

Dans un contexte de vives tensions à l’aube des élections, ce prix prend une dimension particulière dans le pays, où il risque d’être instrumentalisé par une opposition dépourvue de leadership et qui peine à s’unir derrière un seul candidat. « C’est un couronnement pour le docteur Mukwege, qui n’est pas seulement médecin mais aussi militant de la démocratie en RDC, précise l’opposant Martin Fayulu. Cela aura un impact politique évident mais c’est aussi un message adressé à la population : le monde pense au Congo et vous regarde. »

Le Nobel de la paix, un prix convoité et parfois critiqué
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