A l’issue du dépouillement des élections législatives et locales, le 30 septembre 2013, dans un bureau de vote de Yaoundé, au Cameroun. / REINNIER KAZE / AFP

Il est 20 h 22 au foyer Bazou, situé à Bepanda, l’un des quartiers populaires de Douala, capitale économique du Cameroun. Plus d’une centaine d’hommes et de femmes, assis sur des chaises blanches en plastique, écoutent attentivement un jeune homme qui leur donne des astuces pour « surveiller le vote et barrer la voie à la fraude ».

« Il faut noter une chose, notre objectif est de faire gagner notre candidat. Et le seul document pouvant prouver et garantir notre victoire est le procès-verbal. Vous devez être capable de le remplir et de contrôler les informations qui s’y trouvent. Soyez vigilants », conseille Eric Pinlap, chargé de la sécurisation du vote dans l’équipe de Joshua Osih, candidat du principal parti d’opposition, le Social Democratic Front (SDF). Debout face à son auditoire, il multiplie les conseils sur la composition de la commission d’un bureau de vote, le contrôle de la liste des électeurs, l’encre indélébile…

L’élection présidentielle est prévue dimanche 7 octobre au Cameroun. Neuf candidats sont en lice pour ce scrutin à un tour. Parmi eux, Paul Biya, président de la République depuis près de trente-six ans et en course pour un septième mandat.

Falsification de procès-verbaux

Lors de précédentes élections présidentielles, législatives et municipales, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, parti présidentiel) a été accusé d’avoir fraudé pour se maintenir au pouvoir. L’opposition, la presse locale, la société civile et des observateurs dénonçaient alors de nombreuses irrégularités : doublons sur les listes électorales, bourrage d’urnes, falsification de procès-verbaux, achat de voix.

Comme le SDF, de nombreux candidats ont donc décidé de former leurs propres scrutateurs pour « barrer la voie à la fraude le 7 octobre ». Des milliers d’hommes et de femmes, jeunes et moins jeunes, « volontaires » qui, disent-ils, seront présents dans les 25 000 bureaux de vote.

Selon la loi électorale, chaque bureau est constitué d’un président, représentant d’Elections Cameroon (Elecam, l’organisme chargé de l’organisation de l’élection), d’un représentant du ministère de l’administration territoriale et de ceux des différents partis politiques. « Les représentants de l’administration, d’Elecam et du RDPC sont du même bord et c’est ensemble qu’ils organisent des fraudes, détaille Carlos Ngoualem, du SDF. Nous avons plus de 30 000 scrutateurs qui seront partout, même en zone anglophone. Ils savent ce qu’ils doivent faire. »

A chacun de leurs meetings, des candidats invitent les électeurs potentiels à « rester » sur place, « vérifier », « veiller » et « protéger » leur vote. « L’important n’est pas de dire qu’on a gagné. Il faut prouver qu’on a effectivement gagné », rappelait Cabral Libii, 38 ans, lors de son grand meeting au stade Cicam, à Douala, le 23 septembre. Le benjamin des candidats faisait référence au scrutin présidentiel de 1992, au cours duquel John Fru Ndi, président historique du SDF, avait récolté 35,9 % des voix, selon les résultats officiels, contre 39,9 % pour Paul Biya. Le parti et de nombreux opposants accusent, depuis, le pouvoir d’avoir « fraudé ».

« Cette élection est particulière, car nous avons expliqué à nos milliers de volontaires ce qu’est la fraude électorale, ses différentes formes et comment la contrecarrer. On fera tout pour que notre vote ne soit pas volé, assure Simplice Ngnoheu, coordonnateur du département du Wouri pour le parti Univers de Cabral Libii. Cette année, il y aura des scrutateurs à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur des bureaux de vote. »

Au-delà de ces scrutateurs, des observateurs nationaux et internationaux seront présents. Si l’Union européenne a annoncé qu’elle n’en enverrait pas, ceux de l’Union africaine sont arrivés début septembre.

« Devoir citoyen »

Charles Beaudelaire, 33 ans, « né sous Paul Biya et décidé à offrir mieux à ses enfants », est militant du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). « Si je vois ces gens tenter de voler notre victoire ou celle de n’importe quel candidat de l’opposition, je le dénonce », jure-t-il, à deux jours du scrutin.

Guibai Gatama, directeur de publication du journal L’Œil du Sahel, a mis sur pied la plateforme « Observateur d’un jour ». Le but est de permettre à « tous les Camerounais, de toutes les régions du pays, d’exercer leur devoir citoyen en envoyant des photos et vidéos de leur bureau de vote », précise-t-il. Ces observateurs devront préciser où et à quelle heure ils ont pris les images. « Je les recevrai, je les vérifierai avant de les partager sur mes différentes pages », ajoute Guibai Gatama.

Après avoir confirmé, le 26 septembre, que les électeurs sont autorisés à entrer dans les bureaux de vote avec leur téléphone portable, Elecam a décidé jeudi d’en interdire l’utilisation. « Ils ont peur car, de toute façon, le pouvoir va frauder pour espérer gagner. C’est pourquoi l’initiative de Guibai est importante, affirme un journaliste politique qui votera pour l’opposition. C’est une autre manière de contourner ces fraudes car, avec ces photos et vidéos qui seront prises partout, à l’intérieur pour les plus malins comme à l’extérieur, il sera difficile pour Elecam et le parti au pouvoir de nier les faits si jamais ces observateurs capturent des scènes compromettantes. »

Reste qu’aujourd’hui le gros des fraudes électorales ne se produit plus dans les bureaux de vote mais au moment de la centralisation des résultats.