Dimanche 7 octobre, un membre du consulat saoudien à Istanbul entre dans le bâtiment où le journaliste Jamal Khashoggi a disparu mardi 2 octobre, en Turquie. / AFP

La disparition du célèbre éditorialiste saoudien Jamal Khashoggi a pris une tournure dramatique, dimanche 7 octobre, après que plusieurs sources ont affirmé qu’il avait été tué au consulat de son pays à Istanbul, ce que Riyad a démenti. Ce qui s’est passé « est un crime » et « les responsables de sa disparition doivent être jugés », a déclaré Yasin Aktay, un conseiller du président turc Recep Tayyip Erdogan, dans une interview à Al Jazeera, la chaîne de la télévision qatari.

Preuve que l’affaire est embarrassante pour Ankara, le président Erdogan s’est, en revanche, gardé de donner du crédit aux informations sur l’assassinat de ce journaliste de renom, critique du pouvoir de Riyad. Commentant pour la première fois sa disparition dimanche, devant les militants de son parti de la Justice et du développement (AKP), le président turc a affirmé attendre le résultat de l’enquête en cours avant de se prononcer. « Je suis l’affaire de près et quel que soit le résultat nous le communiquerons au monde », a promis M. Erdogan, se posant en parangon de la transparence alors qu’il déclarait, il y a quelques jours devant des universitaires, que « médias et démocratie sont incompatibles ».

Il s’est dit « désolé » que les faits se soient produits en Turquie, où les médias locaux ne sont pas logés à très bonne enseigne, avec plus d’une centaine de journalistes emprisonnés et près de 200 organes de presse interdits depuis le putsch raté du 15 juillet 2016.

Eviter une crise

La disparition de Jamal Khashoggi est un dossier empoisonné pour Ankara, soucieux au plus haut point d’éviter une crise diplomatique d’ampleur avec Riyad sur fond de tensions déjà existantes. En juin 2017, le président Erdogan avait pris le parti du Qatar dans le conflit survenu entre l’émirat et ses voisins du Golfe. Sa proximité avec la confrérie sunnite des Frères musulmans, décrit par le royaume saoudien comme un « groupe terroriste », n’a pas l’air de plaire au prince héritier Mohammed ben Salman.

Depuis mardi, les autorités turques et saoudiennes multiplient les déclarations contradictoires sur le sort du journaliste. Entré au consulat d’Arabie saoudite, à Istanbul, mardi 2 octobre à 13 heures pour des démarches administratives, ce dernier n’a plus jamais été vu depuis.

Les autorités saoudiennes assurent qu’il est bien ressorti du consulat. « D’après ce que j’ai compris, il est entré au consulat puis en est ressorti après quelques minutes ou une heure. Je ne suis pas sûr », a déclaré vendredi le prince héritier saoudien dans un entretien à l’agence Bloomberg, invitant les autorités turques à « fouiller » la représentation consulaire si nécessaire — « Nous n’avons rien à cacher ».

Soupçons de préméditation

Pour les Turcs au contraire, il est clair que Jamal Khashoggi n’est jamais ressorti du bâtiment situé dans le quartier d’affaires de Levent à Istanbul. Nombreuses sont les voix anonymes qui, au sein de la police ou du parti AKP au pouvoir, affirment que l’homme a été tué peu de temps après son arrivée au consulat.

Selon une source au sein des services turcs de sécurité (MIT), citée par l’agence Reuters, un groupe de quinze Saoudiens avait fait un rapide aller-retour entre l’Arabie Saoudite et la Turquie le jour où le journaliste se trouvait dans les locaux consulaires. Ce groupe était à l’intérieur quand Jamal Khashoggi y est entré. « Nous pensons que le meurtre était prémédité et que le corps a ensuite été sorti du consulat », a confié cette source à Reuters.

Familier de la Turquie, Jamal Khashoggi, ardent critique du prince Mohammed ben Salman, séjournait souvent à Istanbul. Malgré les mises en garde de son entourage, il s’est rendu au consulat pour effectuer des démarches administratives en vue de son mariage avec sa compagne turque, Hatice Cengiz.

Ce jour-là, la jeune femme l’a attendu non loin du consulat, où il s’est engouffré après lui avoir confié son téléphone portable, avec la consigne d’alerter les autorités turques au cas où il tarderait à sortir. C’est elle qui a donné l’alerte. « Je n’arrive pas à croire que Jamal est mort. J’attends une confirmation officielle du gouvernement turc pour y croire », a-t-elle réagi sur son compte Twitter.