Manifestation contre la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême des Etats-Unis, à Washington, samedi 6 octobre. / JAMES LAWLER DUGGAN / REUTERS

Editorial du « Monde ». La confirmation par le Sénat de la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême des Etats-Unis, samedi 6 octobre, constitue une incontestable victoire pour Donald Trump, mais elle a été obtenue dans des circonstances qui laisseront des traces. Au terme d’une âpre bataille marquée par des accusations d’agression sexuelle niées avec énergie par le juge, puis tournées en ridicule par le président, l’arithmétique politique l’a emporté sur les valeurs et l’impartialité qu’un membre de la plus haute instance juridique des Etats-Unis est censé porter et respecter.

Brett Kavanaugh ne s’en est guère soucié pour se défaire des accusations lancées contre lui par une universitaire de 51 ans, Christine Blasey Ford, qui renvoyaient à leur adolescence. Devant les sénateurs, il est allé jusqu’à dénoncer un complot ourdi par les démocrates.

Cette victoire à tout prix, alors que de nombreux présidents avaient eu la sagesse par le passé de remplacer des candidats controversés, ne laisse personne indemne, pas plus chez les républicains que chez les démocrates, qui ont rivalisé d’outrances. Pour ne pas parler de la mobilisation tapageuse des opposants du juge, qui, finalement, s’est révélée totalement contre-productive.

La furieuse mêlée à laquelle la confirmation de Brett Kavanaugh a donné cours laissera aussi des séquelles sur les institutions. Tout d’abord au Sénat, qui se prive avec entrain des attributs constitutifs de sa singularité, à commencer par ces majorités qualifiées qui forçaient au compromis et qui rendaient les élus moins sensibles aux pressions politiques. Ensuite à la Cour suprême, où va siéger le juge le plus mal « élu » par les sénateurs et qu’une majorité nette d’Américains ne souhaitait pas voir à ce poste aussi prestigieux que décisif. Sa légitimité est en question et risque de le rester.

Un travail de sape conservateur

La génération qui sépare ce juge de celui qu’il remplace, également choisi par un conservateur, illustre une bascule du Parti républicain vers des positions plus intransigeantes. La tentation réactionnaire qu’incarne au sein du droit la Federalist Society, fondée il y a près de quarante ans pour porter le fer contre le consensus progressiste alors en cours chez les juristes, est intimement liée au bloc conservateur de la Cour que Brett Kavanaugh va renforcer.

C’est ce bloc qui est à l’origine d’un cercle qui n’a rien de vertueux : la suppression des plafonds de financement des campagnes électorales, désormais noyées sous un « argent noir » qui n’a d’autre but que de servir des intérêts particuliers, au Congrès comme à la Cour suprême, comme en a attesté en juin l’arrêt rendu contre le financement des syndicats de la fonction publique. Cet aspect du travail de sape conservateur est tout autant à surveiller que les atteintes éventuelles à l’affirmative action pour les minorités, les limitations du droit de vote ou encore les restrictions au droit à l’avortement.

Deux facteurs peuvent toutefois contenir ce mouvement. Tout d’abord, l’attachement du président de la Cour suprême, John Roberts, aux équilibres de l’institution, qui pourrait le pousser ponctuellement à soutenir la minorité des juges nommés par des présidents démocrates. Enfin, le réveil civique du Parti démocrate. « Don’t boo, vote ! » (« Ne huez pas, votez ! »), avait enjoint Barack Obama en 2016 à ceux qui pestaient contre Donald Trump. Il n’avait pas été, alors, assez entendu. Le sera-t-il plus lors des élections de mi-mandat, le 6 novembre ?