Trois anciens présidents se présentent à la magistrature suprême malgache le 7 novembre 2018 : Marc Ravalomanana, Andry Rajoelina  et Hery Rajaonarimampianina. / RIJASOLO,THOMAS SAMSON, SIMON MAINA/AFP

La campagne électorale a officiellement débuté à Madagascar. Elle durera un mois, jusqu’au 7 novembre. Au-delà du ou des deux candidats qui parviendront à franchir le premier tour menant à la magistrature suprême parmi les 36 prétendants, l’enjeu sera de parvenir à conduire un processus électoral dont la régularité ne soit pas remise en cause. Au risque, si tel n’était pas le cas, de faire basculer la Grande Ile dans l’une de ces crises post-électorales dont elle est coutumière.

Après les tensions du printemps autour de la réforme des lois électorales, la tenue du scrutin était loin d’être acquise. La liste électorale continue au demeurant d’être contestée par un collectif de 22 candidats qui reproche à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) « d’importantes anomalies » compromettant « la crédibilité et la sincérité du futur scrutin ».

Les contestataires pointent par exemple l’augmentation particulièrement forte du nombre des électeurs dans « les régions peu peuplées et les plus enclavées, où le taux de participation est historiquement bas ». A l’inverse, l’évolution du nombre d’inscrits est « la plus faible dans les régions les plus peuplées où le taux de participation est nettement plus important », ce qui relève, selon eux, d’une manipulation manifeste.

La Ceni, dont le travail a été jugé « fiable » par la mission d’observation dépêchée en juillet par l’Organisation internationale de la Francophonie, a adressé une fin de non-recevoir à la demande de révision des listes.

Disproportion de moyens

Les bailleurs de fonds internationaux qui financent largement l’organisation du scrutin seront également présents sur le terrain, aux côtés de la Ceni, pour veiller au bon déroulement du vote. L’Union européenne a commencé à déployer une équipe d’observateurs qui comptera une cinquantaine de personnes d’ici au 7 novembre. « Il faut à tout prix éviter qu’un candidat ne se déclare vainqueur sans attendre les résultats officiels », redoute un diplomate en poste à Antananarivo.

Les associations de la société civile ont de leur côté pris des dispositions pour poster des vigies dans quelque 6 000 bureaux de vote sur les 25 000 qui seront ouverts à travers le pays. L’état calamiteux des routes ne facilitera pas le travail de contrôle, en particulier dans les communes les plus enclavées qui s’apprêtent à recevoir le matériel de vote par hélicoptère.

La charte de bonne conduite proposée aux candidats à l’initiative d’une dizaine d’organisations de la société civile et d’institutions, dont la Ceni, le Conseil de réconciliation nationale ou Transparency International, a fait un flop qui en dit long sur les craintes qui entourent le scrutin. Seuls douze ont accepté de la signer, parmi lesquels le président sortant, Hery Rajaonarimampianina.

« Il y a pourtant longtemps que les Malgaches n’ont pas eu l’occasion de voter à la fin du mandat d’un président élu », rappelle Juvence Ramasy, maître de conférences à l’université de Toamasina, pour souligner les progrès réalisés depuis le coup d’Etat de 2009. « Hery Rajaonarimampianina, après avoir tenté de manipuler la Constitution, s’est finalement soumis aux règles en démissionnant de son poste pour mener campagne. »

Plus que les programmes, dont les contenus restent pour la majorité des candidats encore assez insaisissables, c’est la disproportion de moyens qui semble devoir façonner la campagne. Les ex-présidents, qui, de ce point de vue, écrasent la compétition, n’ont du reste pas attendu le coup d’envoi officiel pour commencer à sillonner le pays. Il n’existe aucune loi limitant les dépenses.

Les deux protagonistes de la crise de 2009 – Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana –, qui avaient été interdits de se présenter en 2013, sont classés parmi les plus grosses fortunes de Madagascar par le magazine américain Forbes. Ils sont également propriétaires de groupes de médias dont les prix pour diffuser des spots de campagne ou accéder aux plateaux de télévision se sont envolés, au dire de candidats moins fortunés.

Climat de corruption

Près de dix ans après sa prise du pouvoir grâce au soutien de l’armée, le premier mise sur un discours de la repentance pour convaincre les Malgaches qu’il a tiré les leçons du passé. Son autobiographie Par amour de la patrie, lancée en septembre à Paris, est censée rétablir la vérité sur la Haute Autorité de transition qu’il dirigea (2009-2013) au prix d’un isolement diplomatique, avec le retrait presque total des bailleurs de fonds et d’un développement des trafics mafieux autour des ressources naturelles qui n’ont depuis cessé de prendre de l’ampleur.

Marc Ravalomanana, lui, essaiera de capitaliser sur les souvenirs de son premier mandat, resté dans les esprits comme une période de relative prospérité.

Quant à Hery Rajaonarimampianina, il a déjà commencé à défendre son bilan en mettant en avant les 5 % de croissance économique saluée par le Fonds monétaire international (FMI), « la plus forte depuis dix ans », et de façon moins convaincante à proclamer une réduction spectaculaire de la pauvreté. Les chiffres sur lesquels le président sortant s’appuie pour affirmer que le taux d’extrême pauvreté – soit un revenu inférieur à 1,90 dollar par jour, selon la définition internationale – est passé de « 92 % à un peu plus de 70 % » au cours de son mandat sont en effet inexacts. Ce taux, qui était de 78 % en 2012, est resté quasiment inchangé, selon les données les plus récentes de la Banque mondiale.

A côté de ces trois caravanes, les Malgaches auront le choix entre une myriade de candidats plus ou moins identifiés. L’« Amiral rouge » Didier Ratsiraka, 81 ans, deux fois déjà aux commandes du pays (de 1975 à 1993 puis de 1997 à 2002), le pasteur Mailhol, dont le mouvement sectaire est crédité d’un million de fidèles, une magistrate, Fanirisoa Ernaivo, au discours offensif pour la défense d’un Etat de droit, le chef de file du patronat, Erick Rajaonary, le chanteur Dama, qui espère déjouer la puissance des « gros candidats » grâce à une campagne de proximité menée par son mouvement citoyen…

« Parmi ces 36 prétendants, certains sont là pour prendre date en vue de futures échéances électorales, d’autres visent un poste ministériel dans le prochain gouvernement et il n’est pas à exclure que d’autres encore se soient lancés dans la course uniquement pour servir une stratégie d’éparpillement des votes au profit de l’un des favoris », analyse le politologue Andry Raodina, qui déplore la confusion du paysage électoral.

Quoi qu’il en soit, tous devront affronter la désillusion d’une population dont la majorité estime que les conditions de vie se sont dégradées, dans un climat de corruption des élites qui incite à se détourner des urnes.