La bataille, à condition qu’elle ait lieu, s’annonce âpre. Lundi 8 octobre, la première journée du procès UBS a offert des discussions juridiques ardues devant la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, esquissant la tonalité de ce que pourraient être les débats, prévus pour durer jusqu’au 15 novembre, avec des avocats de la défense combatifs et pointilleux.

Il convient toutefois d’utiliser le conditionnel. Suspendue lundi en fin de journée, l’audience, présidée par la juge Christine Mée, ne reprendra que jeudi en début d’après-midi. Le temps pour la cour d’examiner les trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) soulevées par les conseils de la banque, poursuivie pour avoir démarché illégalement de riches Français afin qu’ils placent leur argent en Suisse. Quelque 10 milliards d’euros auraient ainsi été soustraits au fisc, selon les deux magistrats instructeurs qui ont décidé de renvoyer devant la justice la maison-mère UBS AG et sa filiale française, UBS France, ainsi que six dirigeants de la banque.

Cette première journée d’audience aura-t-elle aussi été la dernière ? La réponse dépendra de l’appréciation de Christine Mée et de ses assesseurs. S’ils décident, jeudi, de transmettre une ou plusieurs des QPC à la Cour de cassation, l’audience sera renvoyée sine die. En tout état de cause, elle n’aurait pas lieu avant 2019. Dans le cas contraire, elle se déroulera comme prévu.

Terme de « blanchiment »

Dans ce dossier, ou chaque mot est soupesé par un bataillon d’avocats prêts à faire le procès d’un procès historique par son ampleur, le terme de « blanchiment », contesté, a nourri deux des QPC. Selon l’ordonnance de renvoi devant le tribunal, UBS AG est prévenue de « démarchage bancaire illégal » et de « blanchiment aggravé de fraude fiscale » pour avoir, « de 2004 jusqu’à 2012, apporté son concours (…) à des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit, en l’espèce du délit de fraude fiscale ». La filiale française est poursuivie pour complicité de ces délits.

Au fil d’une argumentation juridique parfois alambiquée, les avocats de la banque ont dénoncé une « atteinte portée au principe constitutionnel d’égalité devant la loi pénale ». Me Eric Dezeuze, conseil d’UBS France, s’est attaqué à « une forme d’hypocrisie judiciaire et juridique (…) qui consiste à poursuivre des faits de fraude fiscale sous la qualification de blanchiment de fraude fiscale ».

L’enjeu sémantique est de taille, pour deux raisons. Selon les avocats d’UBS, l’infraction retenue par l’accusation, au vu des faits reprochés, aurait dû être celle de complicité de fraude fiscale. Or une telle poursuite était impossible sans plainte préalable de l’administration fiscale – le fameux verrou de Bercy. Les conseils de la banque ont souligné que cela n’avait pas été le cas en 2011, lors de l’ouverture de l’enquête. L’Etat français s’est depuis constitué partie civile et réclame désormais 1,6 milliard d’euros – la somme a été dévoilée lundi par Denis Chemla, l’un des avocats d’UBS AG, pour en dénoncer le caractère excessif.

« Réclamer des sommes folles »

Et voilà que l’argent, omniprésent dans le dossier UBS, est vite revenu au centre des préoccupations. Car les sanctions financières sont bien plus lourdes en cas de blanchiment que de complicité de fraude fiscale. Ainsi, UBS AG, qui a déjà dû verser une caution de 1,1 milliard d’euros, risque une amende pouvant atteindre 5 milliards d’euros, soit la moitié de l’estimation des montants non déclarés au fisc. « On vient dans cette procédure nous réclamer des sommes folles », s’est indigné Me Jean Veil, conseil d’UBS AG.

Dans une troisième QPC relative à la séparation des pouvoirs, Me Veil a déploré « une situation de contournement anticonstitutionnel ». « Dans cette affaire, l’autorité judiciaire violente la séparation des pouvoirs », a-t-il estimé, raillant au passage le peu de réactivité de l’administration française vis-à-vis des banques suisses.

L’un des deux procureurs, Serge Roques, a rappelé qu’« une personne peut très bien être complice de fraude fiscale et blanchir le produit de cette fraude ». Il a estimé que ces deux QPC ne représentaient qu’une « contestation vaine, (…) dépourvue de sérieux dans la mesure où elle se borne à contester un corpus juridique stable ».

A voir les visages plutôt satisfaits des prévenus à l’issue de cette première journée d’audience, tous habillés en costumes sombres sur chemise claire, tous des hommes blancs sexagénaires ou quinquagénaires, il est peu probable qu’ils partageaient cet avis. Réponse jeudi.