Edouard Philippe à Lyon le 8 octobre. / JEFF PACHOUD / AFP

On l’appelle souvent le « ministère de l’urgence ». Mais, depuis une semaine, c’est plutôt celui de l’attente. « L’intérieur » escomptait toujours, mercredi 10 octobre au matin, se voir attribuer un ministre de plein exercice, après une période inhabituellement longue pour un poste de cette importance.

Depuis le départ de Gérard Collomb, mercredi 3 octobre, on assure à Beauvau que les dossiers sont suivis. Si Edouard Philippe assure l’intérim depuis Matignon, l’équipe du ministre de l’intérieur démissionnaire a été intégralement reconduite au Journal officiel dès le jeudi 4 octobre. Une précaution indispensable pour permettre au directeur du cabinet, Stéphane Fratacci, de signer les documents légaux et les différents actes juridiques au quotidien.

Les points sur la sécurité, qui ont lieu trois fois par semaine avec les différentes directions des forces de l’ordre, ont été déplacés à Matignon. Plusieurs réunions sur des sujets de fond, comme la préparation du référendum en Nouvelle-Calédonie, se sont également tenues. « C’est une période inédite, mais au plan opérationnel ça ne change rien, c’est un intérim de plein exercice », assure un membre du cabinet, qui assure que les circonstances ont même eu tendance à « souder l’équipe ». Il n’empêche que la chaise vide dans le bureau du ministre occupe tous les esprits au ministère.

« C’est la honte »

Le manque commence aussi à se ressentir sur le terrain. Edouard Philippe, qui cumule les postes, a beau se démultiplier, son agenda très chargé de premier ministre ne lui permet pas d’être partout. Au G6 à Lyon, qui regroupait lundi 8 et mardi 9 octobre les ministres de l’intérieur de six pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Pologne), ainsi que nombre de représentants des polices de tous pays, il n’a pu représenter le gouvernement que le premier jour. C’est Jacqueline Gourault, la ministre auprès du ministre de l’intérieur, qui s’est chargée d’assurer une présence le lendemain, pour assister à l’impressionnante démonstration des forces de l’ordre qui ont simulé la gestion d’une attaque terroriste de masse dans les travées du Groupama Stadium à Décines (Rhône).

L’absence de ministre de plein exercice a été remarquée par les délégations étrangères qui cherchaient à savoir pourquoi la France ne parvenait pas à nommer un nouveau gouvernement et qui cherchait à savoir qui tenait la corde. « C’est la honte, on n’a même pas de ministre pour accueillir nos invités venus du monde entier », déplorait un gradé de la police nationale.

« Totalement lunaire »

Dans les rangs des forces de l’ordre, où le silence est de rigueur, on commence à s’agacer de cette situation. « C’est totalement lunaire, il y a plein de dossiers de fond qui ne peuvent pas avancer s’il n’y a pas de décision politique, ministre de l’intérieur, ce n’est pas juste parader avec les troupes », déplore une source policière. Dans le viseur, la communication d’Edouard Philippe, qui a accompagné mardi 9 octobre dans la soirée une patrouille de la brigade anti-criminalité à Paris, à grand renfort de tweets et de vidéos de promotion.

Les syndicats s’inquiètent du signal envoyé aux troupes, même si dans un premier temps la nomination d’Edouard Philippe pour l’intérim avait été appréciée comme une marque protocolaire de l’importance de la mission. « Rester une semaine, et bientôt deux, sans ministre de l’intérieur, ca pose un souci de sens politique dans une période compliquée, au niveau social, au niveau du risque terroriste, de l’insécurité, relève Jean-Claude Delage, le secrétaire général d’Alliance police nationale, premier syndicat chez les gardiens de la paix. Les policiers de terrain, qui ont l’impression que le métier devient de plus en plus difficile, font le job, qu’il y ait quelqu’un au ministère ou pas. Mais même si ce n’est pas leur priorité, ils se demandent pourquoi ils n’ont pas de ministre. »

En attendant de connaître l’identité de leur nouveau patron, les hiérarchies des forces de l’ordre prennent leur mal en patience et jouent elles aussi au petit jeu des pronostics. L’hypothèse d’une double nomination, avec un ministre de l’intérieur au profil « politique » et un secrétaire d’Etat chargé des questions de sécurité plus « technicien », a la cote chez les policiers, fatigués de voir nommées des personnalités peu qualifiées. Mais ils sont nombreux à regretter de ne pas avoir été sondés sur les noms envisagés ces derniers jours, même officieusement, comme cela se pratiquait par le passé.

« On ne sait rien, on n’est pas habitués, ça nous énerve », remarque dans un sourire un haut gradé. Après l’attente, puis l’agacement, vient le temps de la dérision : « Il faut qu’ils arrêtent de dire que tout est géré et suit son cours, on va finir par se rendre compte que les ministres de l’intérieur ne servent à rien. »