L’avis du « Monde » – à voir

Très connue dans le milieu de la danse contemporaine, la chorégraphe Rocio Molina a réinventé la tradition flamenca avec une liberté et une énergie rares. Qu’elle rampe tel un insecte ou laisse traîner sa jupe dans un liquide couleur sang, elle saisit cet élan – l’impulso – qui lui vient « du corps pour atteindre l’esprit » selon ses propres mots, et qui donne son titre au documentaire d’Emilio Belmonte.

Le réalisateur, né il y a quarante ans en Andalousie, a vu danser et chanter tous les artistes flamencos depuis les années 1970. Il avait fini par penser que cette danse était « enterrée dans ses souvenirs », jusqu’à ce que des performeurs comme Rocio Molina et Israel Galvan viennent bouleverser ses certitudes. Il a tourné Impulso alors que Rocio Molina était en tournée et préparait en même temps sa création Caida del cielo, qui a eu lieu au Théâtre national de Chaillot, à Paris, en novembre 2016.

Rocio Molina a assumé dès son plus jeune âge sa singularité, à commencer par un physique trapu

Née en 1984, Rocio Molina a commencé à danser à l’âge de 3 ans, assumant dès son plus jeune âge sa singularité, à commencer par un physique trapu. L’artiste ne joue pas sur le port altier, mais sur une gestuelle expressionniste alliée à une folie maîtrisée.

Le film se concentre sur les répétitions qui ont précédé le jour J de la création. On ne lâche pas la danseuse, ses musiciens ni son manageur. Sur le plateau ou à table, ils cherchent et discutent. Comment caler la guitare ou le ton de voix ? A quel instant vont-ils trouver l’idée, le bon geste ? Le charme du film tient d’abord au plaisir du travail qui anime l’équipe.

Lire la critique de « Grito Pelao » : Rocio Molina danse sur son nombril

Une certaine mélancolie

Le réalisateur est à la fois au plus près et à bonne distance. Dans un habile montage, les paroles des uns et des autres se superposent aux claquements de talons. Le propos n’est pas d’encenser la star, mais de compendre comment Rocio Molina arrive quasiment à sortir de son propre corps. Sa mère, assez présente, s’en inquiète et se demande jusqu’où sa fille peut aller dans ce personnage quasi monstrueux.

Rocio Molina préfère se définir comme une femme puissante, qui s’est construite au prix d’un entraînement incessant. Mais son vrai moteur est au fond d’elle : c’est une certaine mélancolie de la sensation. Rocio Molina a réalisé sa première soléa (une forme de flamenco) à l’âge de 17 ans et « c’était sans doute la plus belle », dit-elle. « Depuis, je traîne ma part de mélancolie de savoir que je ne retrouverai jamais les sensations que j’ai ressenties la première fois ».

Documentaire espagnol et français d’Emilio Belmonte (1 h 25). Sur le Web : www.jour2fete.com/distribution/impulso