CMA CGM, le champion français du transport maritime, doit affronter une nouvelle bourrasque. Le groupe suisse Ceva Logistics, un des grands noms mondiaux de la logistique, dont CMA CGM est devenu le premier actionnaire en août, se trouve sous la menace d’une OPA hostile, a-t-il dévoilé jeudi 11 octobre. Cette crise contraint son nouveau tuteur français à prendre des mesures d’urgence, en commençant par monter au capital bien plus vite que prévu.

Tout commence en mai. A l’occasion de l’entrée de Ceva Logistics à la Bourse de Zurich, CMA CGM investit 379 millions de francs suisses (317 millions d’euros) pour obtenir à terme 25 % de cette entreprise, en plein accord avec ses dirigeants. Après l’été, une fois toutes les autorisations obtenues, le groupe de la famille Saadé devient ainsi l’actionnaire de référence de Ceva, une société qui emploie 56 000 personnes et a réalisé un chiffre d’affaires de 7 milliards de dollars (5,8 milliards d’euros) en 2017.

Aux yeux de Rodolphe Saadé, le PDG de CMA CGM, cette alliance amorce un virage stratégique. Le groupe marseillais aimerait ne plus se contenter d’acheminer des marchandises de port en port sur ses immenses porte-conteneurs, comme l’Antoine de Saint-Exupéry, inauguré au Havre, début septembre, en présence du ministre de l’économie Bruno Le Maire. M. Saadé se voit aussi convoyer les produits de ses clients par camion, train ou avion d’un bout à l’autre de la planète. Pourquoi se limiter au transport sur mer, alors que des clients comme Adidas ou Carrefour demandent de plus en plus une offre globale ?

La logistique, secteur en croissance

En prenant un ticket de 25 % dans Ceva, la famille Saadé se dit qu’elle peut entrer doucement dans ce secteur en croissance qu’est la logistique. Et pour un prix raisonnable, dans la mesure où Ceva est une entreprise en difficulté. Son actionnaire précédent, le fonds Apollo, lui a laissé sur le dos un énorme endettement. Si bien que la société enchaîne les déficits depuis des années. En 2017, elle a encore perdu 197 millions de dollars.

Pas de quoi faire peur aux Saadé, qui ont rétabli des situations a priori bien plus difficiles. Néanmoins, le plan de redressement lancé tarde à porter ses fruits. Les résultats semestriels publiés en juillet par Ceva déçoivent les investisseurs. Les turbulences sur les devises des pays émergentes les inquiètent, compte tenu de la présence de l’entreprise en Turquie et au Brésil. Résultat : l’action Ceva s’enfonce. Entre mai et le 10 octobre, elle perd 33 % de sa valeur, alors même que les actionnaires initiaux avaient eu le sentiment de réaliser une introduction à prix cassés. Cela fait de cette entrée en Bourse l’une des plus ratées de l’année à travers le monde.

Certains y voient l’occasion d’agir. La semaine dernière, un groupe dont le nom reste tenu secret transmet au conseil d’administration de Ceva une offre d’achat non sollicitée. Le mystérieux candidat propose de lancer une OPA à 27,75 francs suisses par action, entièrement en cash, soit quelques centimes de plus que le prix d’introduction retenu en mai. L’offre valorise le groupe à 1,5 milliard de francs suisses, soit 1,3 milliard d’euros. C’est 50 % de plus que le poids actuel de Ceva en Bourse.

Une offre déclinée à l’unanimité

A l’unanimité, le conseil de Ceva décline néanmoins la proposition. Elle « sous-évalue significativement les perspectives de Ceva Logistics » et les gains attendus de son alliance avec CMA CGM, estiment les administrateurs.

Plutôt que d’entamer des négociations avec le candidat au rachat, les responsables de Ceva prennent des mesures pour resserrer les liens avec CMA CGM. La clause qui bloquait sa participation à 25 % est levée. Le groupe français peut désormais acheter des actions sur le marché, et monter jusqu’à 33 % – au-delà, il devrait lancer une OPA, ce qu’il ne souhaite pas à ce stade.

CMA CGM compte parallèlement s’appuyer sur « ses relations de longue date avec ses clients » pour les orienter davantage vers Ceva et accélérer ainsi le redressement de son associé. Le groupe familial entend aussi apporter à Ceva sa propre filiale de logistique, CMA CGM Log, qui emploie plus de 1 000 personnes, afin de bénéficier d’économies d’échelle. Au programme également, de nouveaux investissements « visant à mettre en œuvre la transformation informatique de Ceva ».

Tout cela suffira-t-il à bloquer l’OPA qui se dessinait ? Les investisseurs n’en sont pas certains. Jeudi matin, l’hypothèse d’une bataille boursière ou d’une OPA a immédiatement fait bondir de 35 % l’action Ceva.