Moody’s et S&P Global, qui feront connaître leur décision à la fin octobre, pourraient bien dégrader d’un cran leurs notes / Jacques Loic / Photononstop

La relation des investisseurs avec l’Italie a rarement été un fleuve tranquille. Tant que l’Italie possédait sa propre monnaie, la lire était la variable d’ajustement des marchés quand les difficultés s’accumulaient. Faute d’une productivité suffisante, elle-même victime d’un déficit d’investissements industriels, l’Italie avait en effet souvent recours à une dévaluation de sa monnaie pour retrouver de la compétitivité dans les périodes de ralentissement économique. L’investisseur prenait donc un risque de change récurrent.

En 2000, ce risque disparut. La naissance de l’euro retirait à la monnaie la possibilité d’agir comme soupape de sécurité pour ajuster la compétitivité externe d’une économie insuffisamment efficace. Cela obligeait donc les pays les moins compétitifs à produire les efforts nécessaires de productivité, sans plus pouvoir compter sur l’expédient d’une dévaluation.

Le manque de performance économique serait dès lors reflété non plus dans la monnaie, mais principalement dans le taux de rendement exigé sur la dette souveraine en fonction du risque perçu par les marchés. Pour l’investisseur, le risque de change se transformait ce jour-là en risque souverain. Et pour les pays membres de la zone euro, l’arme de la dévaluation faisait place à la sanction des marchés obligataires.

Disparition du risque souverain

Au moment de la grande crise de 2008, puis celle européenne de 2011-2012, l’effondrement économique rendit flagrant le peu d’ajustements de compétitivité réalisés par la plupart des pays européens à ce stade. Et l’écart de rendement (« spread de crédit ») entre les obligations souveraines de la périphérie, dont l’Italie, et celle de l’Allemagne explosa.

La zone euro s’étant construite dès sa création sur l’idée que le passage à la monnaie unique, produit d’une volonté politique très forte, était irréversible, il fallait donc absolument intervenir pour ramener ces taux d’intérêt dans le droit chemin. C’est cette mission éminemment politique qui fut confiée à la Banque centrale européenne, laquelle parvint par la parole et les actes à ramener la confiance des marchés dans la zone euro à partir de 2012. Le risque souverain disparaissait, en devenant politique, sous l’égide rassurante d’une banque centrale toute puissante.

Le taux d’endettement actuel de l’Italie est déjà très élevé (130 % du PIB), ce qui crée une fragilité qui nécessite d’être corrigée

En quoi cette deuxième moitié de 2018 présente-t-elle une situation nouvelle pour les investisseurs obligataires sur le marché italien ? Avec une croissance économique stabilisée et des taux d’intérêt toujours très bas, l’Italie pourrait théoriquement se permettre un déficit budgétaire compris entre 2 % et 2,4 % sur les trois prochaines années, sans que le taux d’endettement du pays dérape au-delà du niveau actuel. Alors pourquoi tant de stress ?

D’abord parce que le taux d’endettement actuel de l’Italie est déjà très élevé (130 % du PIB), ce qui crée une fragilité qui nécessite d’être corrigée. Le stabiliser ne suffit pas. D’autre part, et c’est l’essentiel, parce que les hypothèses de croissance et de taux d’intérêt retenues, qui permettraient de stabiliser le déficit, seront très difficiles à honorer. En effet, d’une part la croissance économique italienne ralentit déjà, et l’ensemble de l’économie européenne montre aussi des signes d’essoufflement.

D’autre part, l’incertitude politique est déjà devenue auto-réalisatrice : elle provoque une augmentation des spreads de crédit, qui renchérit le coût de la dette italienne et pénalise le potentiel de croissance. L’Italie n’est pas les Etats-Unis, qui peuvent se permettre, en tout cas pour un temps, d’aggraver leur endettement par une relance économique à crédit, sans que les marchés s’en émeuvent.

Scénario de ralentissement économique

Donc l’enjeu décisif est bien celui d’un dérapage du déficit budgétaire dans un scénario de ralentissement économique à 12-24 mois : sauf nouvelle intervention politique convaincante, l’inquiétude des marchés quant à la soutenabilité de la dette italienne les fera exiger un taux d’intérêt plus élevé, donc un coût budgétaire supplémentaire, entraînant l’économie italienne dans une spirale destructrice.

Or, l’élément nouveau est que le parachute politique aujourd’hui a commencé de se déchirer : d’une part la volonté d’unité et de solidarité est beaucoup moins unanime au sein de la zone euro qu’il y a encore cinq ans, d’autre part le bras armé de cette volonté, la Banque centrale européenne, a déjà utilisé une grande partie de ses munitions. Il en résulte la perspective d’une impuissance politique à compenser la carence économique en cas de besoin. L’investisseur doit se préparer à gérer de nouveau une problématique de risque souverain, cette fois sans filet.