Gérard Filoche, le 24 juin 2017. / ZAKARIA ABDELKAFI / AFP

L’un des membres fondateurs de SOS-Racisme jugé pour un tweet antisémite : il y avait comme une erreur de casting, mercredi 10 octobre, devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, où Gérard Filoche comparaissait pour « provocation à la haine ou à la violence » envers la communauté juive.

Objet du délit, un photomontage publié le 27 novembre 2017 sur Twitter par celui qui fut le représentant de l’aile gauche du Parti socialiste. On y voit Emmanuel Macron surplombant un globe terrestre barré du slogan « En marche vers le chaos mondial », et arborant un brassard nazi sur lequel le dollar a remplacé la croix gammée. En arrière-plan figurent l’économiste Jacques Attali, l’homme d’affaires Patrick Drahi, le banquier Jacob Rothschild – juifs tous les trois –, ainsi que les drapeaux américain et israélien.

Alerté par son fils, Gérard Filoche avait rapidement retiré son tweet, resté en ligne moins d’une heure. Suffisamment longtemps pour être largement relayé, et valoir à son auteur un déluge de réprobation et son exclusion du PS.

A la barre, mercredi, l’ancien inspecteur du travail, âgé de 72 ans, n’a pas cherché à minimiser la teneur antisémite du photomontage. Il a plaidé la « négligence », assurant qu’il n’avait pas vu, au moment de la glisser « en moins d’une seconde » dans son tweet, l’arrière-plan – plus sombre – de cette image trouvée sur Internet. « Dès que j’en ai eu conscience, je l’ai retirée. C’est plus important de l’avoir retirée que de l’avoir mise ! »

Très en verve, Gérard Filoche a parfois transformé son procès en meeting anticapitaliste et anti-Macron : « Je suis un pacifiste, et je dénonce la violence de Macron. Ce qui produit le chaos mondial, la guerre, c’est la finance. Et la finance n’est ni juive, ni musulmane, ni catholique. Elle est la finance. » Mais il a surtout profité de la tribune pour mettre en avant sa vie de militant : « J’ai toujours été antiraciste. On ne peut pas, à cause d’une erreur de manipulation, douter de mon engagement. »

« En m’accusant, vous ne défendez pas la cause ! »

Alors que l’avocate d’une des associations s’étant constituées parties civiles (la Licra, le MRAP, France-Israël, etc.) tentait de faire un lien – hasardeux – entre son tweet et « l’antisémitisme qui tue, comme on l’a vu avec Ilan Halimi [en 2006], Sarah Halimi [en 2017], ou Mireille Knoll [en 2018] », l’ancien trotskiste s’est agacé : « Mais j’ai marché après la mort de chacune de ces personnes ! Je combats l’antisémitisme, je hais ceux qui sont antisémites. En accusant quelqu’un comme moi, vous ne défendez pas la cause ! »

« Je crois à votre combat, mais je crois qu’en un instant de colère, vous avez cédé la haine, a affirmé Me Cyril Bonan, l’avocat de Jacques Attali. Vous avez cédé à cette image facile, à cette propagande dangereuse, qui est le lien entre les juifs et le grand capital. » Puis, se tournant vers la présidente du tribunal : « Si ce montage n’est pas une provocation à la haine des juifs, alors qu’est-ce qui va tomber sous le coup de la loi ? Qu’une image pareille ne soit pas condamnée, ce serait incompréhensible. »

« Le débat n’est pas de dire si M. Filoche est antisémite ou non, a lancé la procureure d’entrée de réquisitoire. Mais le fait qu’on pense qu’il l’est ou non ne peut pas être balayé d’un revers de la main. » Elle a ainsi rappelé que le prévenu s’était excusé publiquement, qu’aucune autre trace antisémite n’avait été trouvée dans ses quelque 160 000 tweets, et qu’il avait publié en avril un Manifeste contre le racisme et l’antisémitisme. Si elle n’a « pas été absolument convaincue par la sincérité de M. Filoche quand il dit qu’il n’a pas compris l’image, il subsiste néanmoins un doute quant à son intention » de commettre un délit. Elle a donc requis la relaxe.

Jugé par la même chambre pour avoir publié la même image, l’essayiste d’extrême droite Alain Soral avait été lui-même relaxé en mars – le parquet, qui avait requis cinq mois ferme, a fait appel. « Le montage, aussi contestable soit-il, ne constitue pas une provocation à la haine contenant une exhortation, même implicite, rejaillissant sur la totalité d’une communauté définie par l’appartenance à la religion juive », avait estimé le tribunal à l’époque. Peut-il aujourd’hui condamner Gérard Filoche ? Jugement le 12 décembre.