Le chancelier autrichien Sebastian Kurz le 12 octobre à Munich. / Matthias Schrader / AP

C’est une tradition. Ou plutôt c’en était une. En fin de campagne électorale, pour leur dernier meeting, les conservateurs bavarois de l’Union chrétienne-sociale (CSU) avaient l’habitude d’inviter Angela Merkel, la présidence de l’Union-chrétienne démocrate (CDU), le « parti frère » de la CSU, selon l’expression consacrée en Allemagne.

Vendredi 12 octobre, dans la grande taverne munichoise où les conservateurs bavarois réunissaient une dernière fois leurs partisans avant les élections régionales de dimanche, qui s’annoncent particulièrement difficiles pour eux, Angela Merkel n’était pas là. A sa place, l’invité vedette de la soirée était Sebastian Kurz, le chancelier conservateur autrichien, qui dirige, depuis décembre 2017, une coalition à laquelle participe le parti d’extrême droite FPÖ.

L’absence de Mme Merkel à Munich, vendredi soir, n’était pas une surprise. En juin, déjà, Markus Söder, ministre-président de Bavière et candidat à sa réélection, avait fait savoir qu’il se passerait volontiers de sa présence sur les estrades. « Pour mon dernier rassemblement de la campagne, c’est un chancelier qui viendra, pas une chancelière », avait-il alors déclaré à des proches, lesquels s’étaient empressés de faire fuiter l’information dans la presse.

Ne pas réitérer les erreurs

Sebastian Kurz plutôt qu’Angela Merkel : la CSU a donc fait son choix. A deux jours des régionales, les conservateurs bavarois ne voulaient pas prendre le risque revivre ce qui s’était passé le 22 septembre 2017, à l’avant-veille des législatives, quand la chancelière était venue à Munich et que, sur la Marienplatz, au cœur de la capitale bavaroise, elle s’était fait huer à coup de « Casse-toi ! », par une partie de la foule vent debout contre sa politique d’accueil au moment de la crise des réfugiés de 2015. L’image avait été désastreuse. Deux jours plus tard, la CSU avait obtenu 38,8 % des voix, 10,5 points de moins qu’en 2013. Quant au parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), il avait recueilli 12,4 % des suffrages en Bavière, soit 8,1 points de plus qu’aux législatives précédentes. Parmi ses électeurs, la plupart étaient d’anciens de la CSU.

Avec Sebastian Kurz, vendredi soir, l’ambiance était tout autre. Comme en décembre 2016, quand il était venu ouvrir le congrès de la CSU, dans la banlieue de Munich, à l’époque où il n’était que ministre des affaires étrangères, le président du Parti populaire autrichien (ÖVP) a fait un carton à l’applaudimètre. Notamment quand il a rappelé qu’« une Europe ouverte sur le monde » ne doit pas être une Europe qui « perd le contrôle » de ses frontières.

Pour avoir défendu une telle idée en 2015, les conservateurs autrichiens et bavarois ont été « diabolisés » ; aujourd’hui, « ce point de vue est partagé par tout le monde dans l’Union européenne » (UE), s’est félicité M. Kurz, qui assure la présidente tournante de l’UE jusqu’au 31 décembre. « Nous avons imprimé notre marque sur le débat européen, nous avons fait bouger les choses et à la fin nous avons imposé nos idées », a-t-il ajouté, sans avoir besoin de préciser qu’il visait d’abord Mme Merkel elle-même, dont M. Kurz et ses amis de la CSU ont été les premiers à combattre à la politique d’accueil des réfugiés…

Ton moins offensif

Vendredi soir, le chancelier autrichien est toutefois resté relativement modéré dans son discours, en tout cas bien davantage qu’il ne l’avait été au congrès de la CSU, en 2016, où il avait nommément et longuement ciblé « l’islamisme politique », expliquant qu’il fallait le combattre « non seulement militairement, mais aussi culturellement et idéologiquement dans nos pays ». Cette fois, le ton était moins offensif, peut-être à cause de ses actuelles responsabilités européennes, peut-être aussi parce qu’il savait qu’un discours trop musclé de sa part risquait d’embarrasser une CSU qui, en donnant le sentiment de trop braconner sur les terres de l’AfD, risque de perdre une partie de son électorat modéré au profit des Verts.

Car telle est la difficulté des conservateurs bavarois en cette veille d’élections. A croire les derniers sondages, la principale menace pour eux vient en effet aujourd’hui moins de l’AfD, qui stagne depuis l’été dans les intentions de vote, que des écologistes, qui finissent la campagne en fanfare. Dans une enquête réalisée pour la chaîne de télévision publique ZDF et publié jeudi 11 octobre, la CSU est créditée de 34 %, les Verts de 19 % et l’AfD de 10 %. Or, si le résultat de dimanche s’approche de ce dernier sondage, ce serait une vraie révolution politique à l’échelle de la Bavière : en 2013, la CSU avait recueilli 47,7 % des voix, les Verts 8,6 % et l’AfD rien du tout pour la simple raison que le parti, fondé sept mois plus tôt, n’avait alors présenté aucun candidat…

Les indécis en arbitres

Ces pronostics seront-ils démentis ? « Je suis optimiste, le résultat de dimanche sera meilleur que les derniers sondages », a assuré Horst Seehofer, président de la CSU et ministre fédéral de l’intérieur, vendredi soir. « Beaucoup d’électeurs sont encore indécis », a-t-il ajouté. De quoi redonner un peu d’espoir aux militants, comme Annette Fritsch, encartée depuis un peu plus d’un an. « J’ai l’espoir que ces très mauvais sondages mobilisent les gens à la dernière minute, et qu’au moment de voter certains se disent : Non, quand même, la CSU à 30 %, ce n’est pas possible. Mais ça n’est qu’un espoir », explique cette habitante de la grande banlieue de Munich, pour qui les « querelles incessantes de ces derniers mois entre Merkel et Seehofer », au sein du gouvernement fédéral, sont la cause première des difficultés de la CSU.

Que feront ces indécis ? C’est en effet l’une des grandes inconnues du scrutin de dimanche. Pas sûr, de ce point de vue, que le meeting de vendredi les ait fait cheminer dans leur choix. A l’instar de Thomas, un Munichois de 46 ans, venu précisément au dernier grand rassemblement de la CSU dans l’espoir d’y voir plus clair. Ancien électeur du parti conservateur, l’homme reconnaît que la CSU « a fait du bon travail », notamment pour l’économie bavaroise, aujourd’hui florissante si l’on s’en tient aux grands indicateurs macroéconomiques de ce Land au PIB supérieur à celui de la Suède et où le chômage est inférieur à 3 %. Mais justement, parce que l’argent coule à flots en Bavière, il attend du parti qui gouverne la région pratiquement sans partage depuis un demi-siècle qu’ « il en fasse plus pour le logement, l’hôpital et l’environnement ».

Quant à l’absence d’Angela Merkel et à la présence de Sebastian Kurz, celles-ci le laissent plutôt songeur. « Certes, Merkel n’est pas la bienvenue ici en Bavière, elle est très contestée à cause de sa politique migratoire, et c’était sans doute mieux de ne pas l’inviter. Mais de là à faire venir Kurz ? Cet homme gouverne quand même avec l’extrême droite, non ? » A la sortie du meeting, tandis que la fanfare venait de conclure sur une galopante « Marche de Radetzky », Thomas restait bien en peine de dire pour qui il voterait dimanche.