Dans l'Aude, les inondations sont meurtrières
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Entre minuit et 6 heures du matin, lundi 15 octobre, il est tombé 140 millimètres de pluie à Carcassonne et… 295 mm dans la cité voisine de Trèbes, où au moins sept personnes ont trouvé la mort cette nuit-là. « A partir de 20 mm de précipitation par heure, il s’agit déjà d’un fort cumul, là c’est colossal. Un record », commente Emmanuel Demaël, prévisionniste à Météo France, à propos de la « lame d’eau » qui a semé la désolation dans l’Aude, entre Trèbes et Conques-sur-Orbiel.

Des « orages en ligne », violents, difficilement prévisibles et très localisés qui déversent l’équivalent de plusieurs mois de précipitations en quelques heures causant des crues éclair sur une étroite bande de territoire : voilà les caractéristiques des épisodes méditerranéens que connaissent en automne le Languedoc, la Provence ou l’Ardèche, improprement appelés « épisodes cévenols » lorsqu’ils ne concernent pas des régions où les nuages sont arrêtés par les hauteurs des Cévennes.

Liés à des remontées d’air chaud, humide et instable en provenance de la mer, ils se produisent de façon privilégiée entre septembre et novembre, au moment où la température de la mer qui a chauffé tout l’été est la plus élevée, ce qui favorise une forte évaporation. Ces intempéries touchent en fait tout le pourtour méditerranéen : Espagne, Italie, Grèce mais aussi le Maghreb, qui est davantage concerné en décembre-janvier.

Des pluies diluviennes de plus en plus brutales

Les experts ne laissent aucun doute à leur sujet : ces pluies diluviennes, il y en aura d’autres. Elles risquent de survenir plus souvent, mais surtout, elles s’annoncent de plus en plus brutales. Elles sont déjà de plus en plus intenses et devraient se renforcer sous l’effet du changement climatique. Les scientifiques – notamment Robert Vautard, chercheur (CNRS) au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement – ont fait tourner leurs modèles et rendu compte de certains de leurs résultats dans deux articles publiés dans la revue Climatic Change, en avril et juin 2018.

Ils estiment que dans le sud de la France, l’intensité des précipitations extrêmes a déjà significativement augmenté de « 22 % sur la période 1961-2015 ». En outre, à partir d’un ensemble de simulations, leurs travaux montrent que la probabilité de dépasser un épisode de précipitation extrême ne survenant qu’une fois tous les 100 ans « a plus que doublé en raison des températures » en hausse. Et de conclure : « Nous soutenons qu’il est difficile d’expliquer les tendances diagnostiquées sans invoquer l’influence humaine sur le climat. » Des émissions de gaz à effet de serre aux crues mortelles de l’Aude, le pas est franchi. Certains scientifiques travaillent désormais à évaluer l’impact du changement climatique sur la gravité des intempéries.

« Plus l’air est chaud, plus il emmagasine de l’humidité : un degré Celsius en plus se traduit par 7 % d’humidité supplémentaires, expose Yves Tramblay, hydrologue au laboratoire HydroSciences (Université de Montpellier, CNRS, Institut de Recherche pour le développement). On peut donc dire avec certitude que les épisodes méditerranéens vont devenir plus intenses. »

A Trèbes, près de Carcassone, lundi 15 octobre. / PASCAL PAVANI / AFP

Le bassin méditerranéen souffre de sécheresse

Lui-même est coauteur avec Samuel Sorot (Centre national de recherches météorologiques) d’un article sur ce sujet, également publié dans Climatic Change, le 25 septembre. Il y détaille leurs recherches qui prennent en compte deux scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC), le plus optimiste tablant sur un réchauffement de plus de 1 °C d’ici à 2050. « Dans les deux cas, une intensification des pluies extrêmes se dessine, résume-t-il. Elle n’est pas uniforme : elle varie entre 5 % et 100 % d’augmentation selon les bassins, mais se situe autour de 20 % en moyenne d’ici la fin de ce siècle et même au-delà dans le sud de la France, le Nord de l’Italie et les Balkans. »

Cependant, les orages d’automne ne doivent pas faire oublier une réalité peut-être plus inquiétante encore : le bassin méditerranéen tout entier souffre désormais de sécheresse. Partout le nombre de jours où il pleut diminue et partout les orages deviennent plus violents. « Depuis les années 1970, on observe une réduction des précipitations de 50 % à 60 % au sud de la Méditerranée, expose Yves Tramblay. Donc sur une année, la probabilité d’avoir des jours de pluies intenses diminue, mais nous manquons de modèle pour dire si des records de précipitations tombées en une heure sont battus ou non. »

Les crues soudaines causées par des pluies diluviennes comme celles du 15 octobre ont fait de nombreux morts ces dernières années. En 1999, dans l’Aude déjà, 36 personnes sont décédées dans le massif des Corbières. En 2001, à Alger par exemple, un millier de personnes ont disparu à la suite d’un épisode méditerranéen.

Orages et inondations meurtrières dans l’Aude