David Vincent / AP

Chronique. Prodige de précocité, mythe naissant, Kylian Mbappé n’en finit pas de relever les attentes à son égard. Et ce n’est qu’un début, s’enthousiasment les uns ; mais ce n’est qu’un début, relativisent les autres.

« Tout va très vite dans le football », paraît-il, et rien ne va plus vite que Kylian Mbappé en ce moment. L’on ne parle pas que de faits bruts — palmarès et statistiques —, mais également de sa capacité à apparaître déjà comme une icône du football mondial, à façonner très tôt son propre mythe.

Depuis un an et demi, Mbappé confirme et même dépasse les attentes sur le plan sportif, à l’image d’une semaine durant laquelle il a enchaîné un quadruplé face à Lyon au Parc des Princes, la couverture du magazine Time et le sauvetage de l’équipe de France face à l’Islande.

Troublante perfection

Inutile d’objecter qu’au Parc des Princes, Neymar a été étincelant et l’a bien servi. Que le magazine américain l’avait rencontré il y a plusieurs mois et que cette « une » (européenne) tient d’un calendrier heureux. Que face à l’Islande, il a vu un tir dévié deux fois dans les cages et transformé un penalty. Le conte de fées se passe du compte des faits.

Tout va si vite que les sceptiques trouveront l’histoire trop belle. L’emballement est en effet à la mesure de l’emballage, d’une troublante perfection. A peine besoin de storytelling pour une histoire qui s’écrit toute seule, dont le héros lui-même fournit le texte avec un discours d’une étonnante maturité.

De ce point de vue aussi, Kylian « même pas 20 ans » Mbappé est parti sur des bases élevées. Il lui faudra cependant avoir les épaules larges pour assumer les attentes sportives, mais aussi l’image idéale, voire cet idéal qu’on lui fait incarner.

Tête de gondole de marques mondiales (Nike, le PSG), il est également l’enfant de Bondy élevé au rang de héros positif censé représenter la banlieue qui réussit, comme le conte l’article de Time. Tout dans son parcours sportif relève pourtant de l’exceptionnel, et lui-même ne correspond pas au stéréotype du gamin des « quartiers » : famille de la classe moyenne, scolarisation dans un collège privé, départ à 12 ans en centre de formation…

Temps de passage

On est certes fondé à penser que Kylian Mbappé a d’ores et déjà confirmé son immense potentiel : il a pris une part cruciale au titre mondial des Bleus, il assume son statut en club et le voici candidat au Ballon d’or.

Les inévitables comparaisons statistiques ont désigné Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, joueurs hors-norme dont on imagine qu’il est le successeur. Il est vrai qu’il les devance, au même âge, en nombre de buts inscrits en club et en sélection (64 contre respectivement 27 et 20). On en oublierait presque Neymar (48), et surtout le « premier » Ronaldo, largement en tête de ce classement (92 buts marqués au même âge).

Le Brésilien fut la matrice du joueur-phénomène, monstre de puissance, de technique et de vitesse. Mbappé est-il de ceux-là, peut-il maintenir ses temps de passage et résister au passage du temps ?

En février 1999, la France championne du monde bat l’Angleterre (0-2) et croit tenir « son » Ronaldo : rapide lui aussi, pas même 20 ans lui aussi, Nicolas Anelka a inscrit un doublé à Wembley. Deux autres espoirs de sa génération, Thierry Henry et David Trezeguet, pourtant sacrés le 12 juillet précédent, traversent une période plus difficile et semblent déjà dans son ombre. Ils connaîtront des carrières plus heureuses.

Encore une carrière à accomplir

Le paradoxe est qu’il reste à Mbappé toute une carrière à accomplir. Or à son âge, il faut continuer à « franchir des paliers » pour ne pas régresser. Mbappé a des marges de progression, même si l’on peine à les discerner compte tenu de son efficacité actuelle. Mais c’est justement quand il aura moins de réussite qu’il devra trouver de nouvelles ressources, être plus efficace devant le but, plus complet dans les trente derniers mètres, moins inutilement provocateur.

Et peut-être se montrer plus collectif, même s’il postule à cette catégorie de joueurs auxquels on accorde le droit de marcher pour mieux courir quand il le faut. Des joueurs qui ont aussi le privilège d’évoluer dans les meilleurs effectifs du monde, mis à leur service. La trajectoire de Mbappé s’inscrit sur ce type d’orbite, mais il peut encore n’être « que » Michael Owen ou Fernando Torres.

L’attaquant parisien, doté de l’ambition dévorante et de l’assurance des grandes stars, semble armé pour ne pas tomber dans les pièges que tend une carrière — transferts idiots, dissipation, facilité. Cela ne lui épargnera pas de devoir surmonter les aléas des blessures, des critiques, des pertes de mojo

L’émerveillement demeure. On n’en croit pas ses yeux. La question demeure aussi : jusqu’où ira-t-il ? Avec Mbappé, on est comme dans le premier quart d’heure d’un match qui s’annonce extraordinaire. L’essentiel reste quand même à jouer.