Le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, lors d’une conférence de presse à Addis-Abeba, le 25 août 2018. / MICHAEL TEWELDE / AFP

Sans surprise, Abiy Ahmed, 42 ans, a été réélu avec 176 voix sur 177 à la tête de la coalition au pouvoir en Ethiopie lors de son 11e congrès, conclu le 5 octobre à Awassa, dans le sud du pays. Le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), au pouvoir depuis vingt-sept ans, a pleinement renouvelé sa confiance au premier ministre qu’il avait désigné six mois plus tôt. En théorie, il a donc les mains libres jusqu’aux élections générales prévues en 2020.

Mais cette unanimité masque mal les problèmes internes à la coalition. Lors du congrès, les quatre partis qui la forment ont surtout évité une confrontation qui aurait pu entraîner son implosion. La convention s’est donc bornée à adopter une résolution portant notamment sur la nécessité de renforcer le multipartisme, d’élargir l’espace démocratique et de veiller au respect de la loi.

Un « sauve-qui-peut » dans un contexte tendu, selon un observateur. Depuis avril, Abiy Ahmed n’a cessé de montrer sa volonté de réformer ce pays de 104 millions d’habitants qui était au bord du précipice en début d’année, après trois ans de contestation anti-gouvernementale. La fronde réprimée dans le sang avait eu raison de son prédécesseur, poussé à la démission en février.

Violences intercommunautaires

Le nouveau premier ministre a abattu des montagnes : réconciliation avec l’Erythrée, libération de milliers de prisonniers, invitation lancée aux dissidents, y compris ceux à la tête de groupes armés, à rentrer au pays afin d’élargir un espace politique monopolisé par sa coalition. Mais les violences meurtrières qui ont suivi leur retour ont porté un coup à la crédibilité de celui que des Ethiopiens surnomment encore « le messie ».

La Commission éthiopienne des droits de l’homme a accusé le gouvernement de ne pas avoir su protéger ses citoyens lors des violences intercommunautaires qui ont déplacé plus d’un million de personnes au cours des six derniers mois et fait des centaines de victimes. Des membres de la coalition remettent en cause la capacité d’Abiy Ahmed à maintenir la stabilité du pays. Sa réélection à la tête de la coalition est davantage une « décision pragmatique due à la transition et à l’absence de tout autre rival » qu’un plébiscite, selon le consultant Mehari Taddele Maru.

L’EPRDF pourrait ne pas survivre à la révolution démocratique en cours. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed, l’hégémonie du Front populaire de libération du Tigré (TPLF) sur les trois autres partis était incontestée. La crise politique qui a secoué le pays a fissuré ce bloc et la désignation du nouveau premier ministre a redistribué les cartes.

Le TPLF, accusé par les manifestants de corruption et de violations des droits humains au cours des rassemblements de 2016 et 2017, a perdu son assise face à des partis qui refusent désormais de servir de faire-valoir. En amont du congrès, ils ont d’ailleurs changé de logo, de nom et rajeuni leur comité exécutif en écartant la vieille garde. Une manière de rompre avec le passé.

Instrument de domination

Certains membres vont jusqu’à remettre en question l’idéologie fondatrice du régime. Un pied de nez aux défenseurs de la première heure de cette « démocratie révolutionnaire » conceptualisée par le tombeur de Mengistu, l’ex-premier ministre Meles Zenawi, décédé en 2012.

« Le leadership collectif est perdu », maugréait un haut dirigeant tigréen, en août, après qu’Abiy Ahmed a osé condamner publiquement les manquements démocratiques de ces dernières années. Un positionnement contraire à la culture politique du « centralisme démocratique » à l’éthiopienne et à la discipline de cette coalition où les critiques se font à huis clos.

Que pourrait alors devenir cette coalition initialement composée d’anciens maquisards en sandales, devenue au fil des ans un remarquable instrument de domination politique, économique et sociale, contrôlant chaque position au sein de la fédération, jusqu’à la plus petite sous-division administrative ? « Si l’EPRDF veut jouer un rôle important lors du scrutin de 2020, ses membres doivent rester unis malgré leurs différences », estime l’analyste politique Asnake Kefale.

L’échéance de 2020 est dans tous les esprits. D’autant que certains partis d’opposition semblent déjà bénéficier d’un large soutien populaire. En témoignent les rassemblements de masse à l’occasion du retour des dirigeants de Patriotic-Ginbot 7 et du Front de libération oromo ou l’engouement observé lors de la première conférence du Mouvement national amhara, un nouveau parti d’opposition.

Dissensions internes

Les partis membres seront-ils prêts à faire campagne aux côtés du très contesté TPLF ? D’après Mohammed Girma, maître de conférences à la London School of Theology, ce parti fait face à un dilemme : « Rester ferme idéologiquement ou s’assouplir s’il ne veut pas que le train de la réforme le laisse derrière lui. » Pour certains observateurs, le Parti démocratique amhara (ADP) et le Parti démocratique oromo (ODP) devraient toutefois s’opposer au TPLF pour obtenir plus de légitimité. Mais l’alliance de ces deux formations, qui avait permis l’accession au pouvoir d’Abiy Ahmed, est fragile compte tenu de la pression interne exercée par des groupes ethno-nationalistes.

Car la pierre d’achoppement de la coalition est aujourd’hui la forme de fédéralisme à privilégier. À l’issue du congrès, ses membres ont convenu que « le système fédéral joue un rôle crucial ». Il n’a cependant été fait nulle mention du modèle à suivre tandis que la fédération éthiopienne est composée d’États découpés selon des critères ethno-linguistiques. Les dissensions internes à la coalition font rage entre ceux qui militent en faveur d’une plus grande autonomie des États fédérés et ceux qui penchent vers plus de centralisme. La poursuite de ces querelles pourrait sceller l’avenir de la coalition. Et donc des réformes entreprises par le premier ministre.