C’était devenu une condition sine qua non, un passage obligé pour espérer renouer une relation apaisée entre l’exécutif et les collectivités. Depuis des semaines, les responsables des associations d’élus représentant les collectivités territoriales ne cessaient de réclamer un grand ministère qui soit leur interlocuteur dédié. Ils en avaient assez d’être baladés d’un ministère à l’autre selon les dossiers.

Leur souhait est exécuté. La ministre auprès du ministre de l’intérieur, Jacqueline Gourault, qui avait déjà, dans les faits, récupéré les relations avec les collectivités territoriales, se voit donc dotée d’un ministère à part entière regroupant la cohésion des territoires, précédemment occupé par Jacques Mézard, qui disparaît de l’organigramme gouvernemental, et les relations avec les collectivités territoriales.

Trio très politique

Elle sera épaulée par deux ministres de plein exercice : Sébastien Lecornu, auparavant secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, qui sera plus spécifiquement chargé des relations avec les collectivités territoriales, et Julien Denormandie, qui passe de secrétaire d’Etat auprès du ministre de la cohésion des territoires à ministre chargé de la ville et du logement.

Un dispositif en triangle, donc, pour regrouper l’ensemble des dossiers sous le même toit de l’Hôtel de Castries, à un jet de pierre de Matignon. Un trio également très politique. Si Jacqueline Gourault est une fidèle de longue date de François Bayrou, Sébastien Lecornu est un proche du premier ministre, Edouard Philippe, et Julien Denormandie fait partie de la garde rapprochée du président de la République, Emmanuel Macron. Autant dire qu’il n’y aura pas de difficulté à faire remonter les informations.

La première mission de ce trio inédit sera de rétablir une relation de confiance, sérieusement dégradée, avec les collectivités territoriales. Les élus locaux, leurs associations, ont le sentiment d’être stigmatisés, d’« être pris pour des incompétents démagos », comme le résumait Hervé Morin, le président de Régions de France, lors du récent rassemblement de Marseille, le 26 septembre. Une sensibilité à fleur de peau qui a encore été exacerbée, ces derniers jours, par la campagne #BalanceTonMaire lancée par des militants de La République en marche (LRM) qui invitent à désigner les élus ayant augmenté leur taxe d’habitation. « Une insulte aux élus », estime le président du Sénat, Gérard Larcher. Le président de l’Association des maires de France (AMF), François Baroin, s’est adressé au chef de l’Etat pour qu’il fasse ­cesser « ces insultes populistes de LRM contre les élus de la Répu­blique ».

La tâche va être délicate, mais l’exécutif est conscient qu’il se doit de retisser des liens avec les collectivités et leurs élus. M. Macron lui-même est déterminé à s’impliquer, comme en témoigne son agenda. Ce mardi 16 octobre, il devait recevoir successivement le président de la région Grand Est, Jean Rottner – il sera notamment question de la future collectivité d’Alsace –, le président de Régions de France, Hervé Morin, puis, dans l’après-midi, le président du Sénat, Gérard Larcher, et celui de l’Assemblée des départements de France, Dominique Bussereau.

Motifs de contentieux

Les sujets de mécontentement, voire d’incompréhension entre l’exécutif et les collectivités, se sont accumulés ces derniers mois. La contractualisation engagée avec les plus importantes d’entre elles pour parvenir à une maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement est vécue comme une « mise sous tutelle » alors que, par ailleurs, l’Etat continue à accroître leurs charges. Les départements doivent faire face à l’augmentation continue des dépenses de prise en charge des mineurs étrangers isolés arrivant sur le territoire et des dépenses d’allocations de solidarité.

Les régions, quant à elles, déjà furibondes d’avoir perdu la maîtrise de l’apprentissage et de la formation professionnelle, s’inquiètent d’une éventuelle tentation de recentraliser la gestion des fonds européens agricoles de développement rural (Feader), le « deuxième pilier » de la politique agricole. M. Morin ne manquera pas de redemander des garanties à cet égard lors de son entretien avec M. Macron, à la veille d’être reçu, avec l’ensemble des présidents de région, vendredi à Matignon par le premier ministre.

Aplanir ces motifs de contentieux, retrouver une relation de confiance sont les préalables au retour des associations dites historiques d’élus dans le cadre de la conférence nationale des territoires, qu’elles ont décidé de boycotter en juillet. L’enjeu est de taille. Car, en toile de fond, se dessine la refonte de la fiscalité locale rendue nécessaire par la suppression définitive, à l’horizon 2022, de la taxe d’habitation. Rien ne pourra être construit durablement sans un accord de l’ensemble des collectivités concernées. La complexité de ce dossier oblige l’exécutif à trouver une solution de consensus. Pour l’heure, on est loin du compte.

Il va donc falloir à ce nouveau ministère aux missions renforcées retrouver la voie du dialogue et de la confiance. Répondre à des demandes urgentes et faire preuve d’écoute. Associer pleinement les collectivités aux choix de politique publique qui entrent dans leurs compétences. C’est ce qui a singulièrement manqué depuis le début du quinquennat, malgré les déclarations d’intention. « C’est un état d’esprit », expliquent les représentants d’associations d’élus. Les prochains congrès de l’Assemblée des départements de France et de l’Association des maires de France qui se tiendront en novembre devraient permettre de juger si les intentions sont suivies du passage à l’acte.