Les seize résidents du nouvel institut de recherches de Columbia à Paris sont originaires du monde entier. / Ferrante Ferranti et Antoine Tempé / Institut pour les idées et l'imagination

Diplômé de Sciences Po et étudiant en master de littérature à l’Ecole normale supérieure et à la Sorbonne, Pierre-Yves Anglès rentre d’un semestre d’échange à l’université de Columbia, à New York.

Chronique. Bien que je sois rentré de New York depuis quelques mois, l’université de Columbia s’est rappelée à moi tout récemment. Elle organisait une rencontre avec les résidents de son Institut pour les idées et l’imagination, qu’elle vient d’ouvrir à Paris. Sélectionnés parmi deux-cents candidats, seize heureux élus sont accueillis pour un semestre ou une année dans ce centre de recherches : des professeurs et chercheurs issus du monde universitaire, mais aussi des auteurs, compositeurs, réalisateurs, ou encore chorégraphe.

Seulement la moitié des résidents sont américains ou issus du corps enseignant de Columbia et de nombreux pays sont représentés – y compris la France, avec Elsa Dorlin, professeure de philosophie à l’université Paris-VIII. Leurs profils et projets sont extrêmement variés. Achille Membe, intellectuel et philosophe camerounais célèbre pour ses travaux sur le post-colonialisme et les politiques africaines, prévoit de travailler sur les régimes de mobilité et d’hyperconnexion face aux stratégies de repli social, national ou communautaire en Afrique. L’auteur malaisien installé à Londres Tash Aw, qui connaît un succès croissant depuis Le tristement célèbre Johnny Lim (2006), écrit un roman qui s’intéressera aux migrations contemporaines, entre les continents et les cultures.

« Remettre en question les usages académiques dominants »

La compositrice et pianiste canadienne Zosha Di Castri travaille pour sa part à deux créations originales, dont l’une mènera à un concert de musique de chambre dans les locaux parisiens de Columbia. Quant à Xiaolu Guo, auteure et réalisatrice de documentaires chinoise, elle m’a expliqué qu’elle entend écrire un livre de fiction inspiré des Fragments d’un discours amoureux de Barthes (1977) pour étudier les échanges culturels et linguistiques au sein d’un couple, entre une femme chinoise et un homme occidental. Chaque résident du centre s’est engagé à donner une conférence publique sur son sujet de recherche lors des « Mercredis de l’Institut ».

Ce mélange de profils universitaires et artistiques est une initiative inédite. Ont été sélectionnés des résidents « au début de leurs carrières universitaires et des personnalités capables de remettre en question les usages académiques dominants ». Selon le directeur de l’Institut, l’historien britannique Mark Mazower, il s’agit d’aller contre une « ghettoïsation » du savoir universitaire, qui circule souvent d’un campus à l’autre selon des codes presque indéchiffrables pour les « profanes », mais aussi de métisser les savoirs et d’explorer de nouveaux modes de partage des connaissances dont bénéficieront les étudiants de Columbia.

« Il était crucial que ce nouvel institut de recherche de Columbia ne soit pas aux Etats-Unis » pour se confronter à des disciplines et usages différents, m’a expliqué Mark Mazower. Il estime par exemple que dans les rapports à l’économie, la tradition académique américaine gagnerait à s’enrichir d’approches étrangères. « Aucune institution ne prospère en succombant à l’inertie du présent immédiat », avait déclaré le directeur de Columbia, Lee Bollinger, lors de l’annonce de la création du centre de recherche.

Dans la lignée des partenariats transatlantiques

L’institut est installé à Reid Hall, le centre parisien de Columbia depuis 1964, devenu en 2010 l’un des neuf « global centers » de l’université à travers le monde. Ils sont chargés d’organiser des partenariats internationaux et d’ouvrir Columbia sur de nouvelles cultures. Plus de 600 étudiants et professeurs de l’université new-yorkaise y passent chaque année, sans compter le public des conférences et concerts.

Le choix d’installer l’Institut dans la capitale française ne doit rien au hasard. « Il y a une vitalité culturelle unique à Paris et le volume d’archives et de ressources disponibles a peu d’équivalent en Europe », explique Mark Mazower. L’institut, partenaire de la Bibliothèque nationale de France (BNF), compte tisser des liens avec d’autres centres de recherche. L’Institut historique allemand et l’Institut d’études avancées (IEA) – qui accueille des chercheurs du monde entier en résidence – étaient ainsi représentés lors de la rencontre à Reid Hall. Ont aussi joué en faveur de Paris sa situation centrale en Europe, son accessibilité depuis New York et son histoire, qui en fait un terrain de recherche privilégié pour les études coloniales et postcoloniales.

Cette implantation parisienne de Columbia s’inscrit dans la tradition des partenariats transatlantiques pour la recherche. Dans les années 1950, l’historien Fernand Braudel était très lié avec des fondations américaines, qui ont notamment permis le financement de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), puis la création de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 1975. La fondation Ford a aussi financé la Maison des sciences de l’homme – un réseau de centres de recherche toujours prospère.

Grâce à des dons de particuliers – très valorisés socialement aux Etats-Unis – et au soutien des fondations Andrew W. Mellon et Stavros Niarchos, le nouvel institut de Columbia bénéficie d’un budget annuel qui se situe entre 1,5 et 2 millions de dollars. Cela lui permet notamment de rémunérer généreusement ses résidents. Mark Mazower espère que ce centre s’inscrira dans cette histoire méconnue des partenariats transatlantiques de recherche et qu’il aura, lui aussi, une influence scientifique et politique durable. 

Voici deux des chroniques rédigées par Pierre-Yves Anglès lors de son séjour à Columbia :