Mardi 16 octobre, un homme marche dans les rues dévastées par les inondations survenues, dans l’Aude, comme ici, à Conques. / JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

Après les intempéries meurtrières de l’Aude qui ont fait au moins onze morts dans la nuit de dimanche 14 à lundi 15 octobre, des voix s’élèvent pour dénoncer l’urbanisation massive des territoires, accusée d’aggraver les risques d’inondation. Frédéric de Lanouvelle, porte-parole du ministère de l’intérieur, a d’ailleurs évoqué dans une interview à LCI ce besoin de repenser les politiques de réaménagement du territoire : « Il faudra reconstruire en pensant l’adaptation de notre urbanisme à ces phénomènes climatiques. » Dans la seule région Provence-Alpes-Côte d’Azur, un million de personnes vivent en zone inondable.

Géographe et maîtresse de conférence à l’Ecole normale supérieure, Magali Reghezza-Zitt rappelle qu’« un Français sur quatre vit en zone inondable ». S’il n’y a « pas de solution miracle », la géographe estime qu’un « renouvellement urbain » est nécessaire et devra répondre aux enjeux écologiques que pose la multiplication de ces épisodes météorologiques violents.

En quoi les politiques d’aménagement du territoire prises ces dernières années ont un impact sur les dégâts causés par les inondations ?

Magali Reghezza-Zitt. Ces cinquante dernières années, nous avons assisté à une urbanisation importante des zones inondables. Ces aménagements du territoire s’expliquent par un ensemble de facteurs. D’abord, les populations ont eu tendance à oublier les dangers, car il n’y a pas eu de crues catastrophiques pendant de longues années. Ensuite, de nombreuses régions du sud, comme l’Aude, ont vu arriver des populations de retraités ou des jeunes ménages voulant accéder à la propriété qui ne connaissaient pas les dangers du milieu méditerranéen.

L’urbanisation progressive s’est faite sur des terres de plaine qui, jusque-là, étaient agricoles, alors que, historiquement, les villages s’implantaient en hauteur pour ne pas être inondés. Urbanisation et périurbanisation ont conduit à une imperméabilisation des surfaces (la « bétonisation »), qui est critiquée aujourd’hui, car elle empêche l’infiltration de l’eau dans les sols. Mais il faut aussi rappeler que, parfois, la violence des épisodes météorologiques fait que le sol n’est pas capable d’absorber des volumes d’eau si importants en si peu de temps.

Par le passé, il y avait moins de dégâts, car il y avait moins de gens et de biens de valeur exposés dans les zones à risque. Depuis, la vulnérabilité s’est considérablement accrue. Dans les années 1980-1990, on a vu se multiplier les maisons de plain-pied, notamment pour répondre à la demande d’une population qui pensait au moment de la retraite, quand la mobilité est moindre et que les escaliers posent problème. Sauf que cette architecture n’est pas adaptée aux risques d’inondation par crue éclair : les personnes se retrouvent prisonnières de leur maison alors que l’eau monte. L’urbanisation joue donc un rôle indéniable dans l’aggravation des risques liés aux inondations, car elle accroît le ruissellement et l’exposition de populations vulnérables.

Comment endiguer ces risques liés à l’urbanisation ?

On ne peut pas généraliser. Il faut, au contraire, une approche très fine des territoires, qui ont chacun leurs spécificités. Le risque est de se contenter de polémiquer sur le rôle des élus locaux, qui paient aussi les héritages de ce qui a été fait par le passé, avec des constructions contournant les normes, parfois en toute légalité. On a besoin de ces élus pour travailler à l’aménagement du territoire. Il faut se demander : qu’est-ce que l’on fait de cette urbanisation héritée ? Comment on aménage ce qu’il reste à aménager ? Comment on accompagne les élus des petites communes ? Sur qui pèsent déjà des charges énormes, pour qu’ils gèrent ces questions face aux pressions des administrés et des promoteurs ?

Aujourd’hui, une commune sur deux a son territoire qui est tout ou partie situé en zone inondable. Un Français sur quatre vit en zone inondable. Rien que sur la région parisienne, cela concerne 850 000 personnes. Des communes sont parfois à 100 % en zone inondable. On ne peut pas tous les déménager.

Il n’y a pas de solution miracle, mais une gamme d’actions possibles qui vont dans le bon sens. Certaines villes, comme Marseille ou Paris, tentent de désimperméabiliser les sols, par exemple en végétalisant les toitures, en débétonnant les cours d’école. Certains territoires investissent dans des digues pour protéger l’existant, quand d’autres inventent un nouvel urbanisme en faisant rehausser les maisons ou construire des niveaux supplémentaires refuges.

Quoi qu’il en soit, les solutions d’aménagement s’inscrivent dans un temps très long. Une politique d’aménagement du territoire, qui devra forcément être en lien avec la transition écologique, cela se pense et s’étale sur une période de trente à cinquante ans. A moyen terme, de nombreuses actions de renouvellement urbain vont avoir lieu dans les dix prochaines années. A court terme, l’enjeu est surtout la préparation des habitants, des maires, de tous les acteurs du territoire, à faire face aux crises qui ne manqueront pas de se produire.

Quelles sont les impulsions données par les pouvoirs publics sur le sujet ?

Il manque, au niveau national, une volonté politique forte, notamment des représentants nationaux, pour inscrire une fois pour toutes le sujet à l’agenda politique afin d’impulser une politique sur la réduction des risques liés aux inondations qui ne se limite pas à des dispositifs juridiques qui s’empilent et une stratégie nationale que les services de l’Etat portent comme ils peuvent, mais sans forcément tout le soutien dont ils auraient besoin. Le sujet n’apparaît pas non dans le débat démocratique, notamment lors des élections, alors qu’il concerne énormément de monde.

Il y a donc aussi une responsabilité des citoyens, qui tant qu’ils n’ont pas été touchés, refusent de prendre les mesures nécessaires, qui sont souvent coûteuses, faisant parfois pression sur leurs élus, qui se retrouvent pris entre le marteau et l’enclume. Les enjeux fonciers sont très importants et les élus doivent encore trop souvent choisir entre la sécurité et le développement du territoire. Cet arbitrage permanent entre différents risques demande un choix démocratique et politique fort, dans lequel chacun prend sa part.

Aude : les images des inondations meurtrières
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