La première ministre britannique, Theresa May, et le président de la Commission europénne, Jean-Claude Juncker, à Bruxelles, le 17 octobre 2018. / EMMANUEL DUNAND / AFP

Notre correspondante à Bruxelles, Cécile Ducourtieux, a répondu aux questions des internautes sur le sommet européen spécial consacré au Brexit.

YA : A combien estimeriez-vous la probabilité d’un « no deal » ?

Très difficile à dire. Comme dans toute négociation, il y a aujourd’hui une part de bluff et de dramatisation difficile à apprécier. Je dirais que le risque de « no deal » est là, mais relativement faible, même si la marche politique à franchir pour la première ministre britannique, Theresa May, afin d’accepter la solution européenne pour l’Irlande est très haute.

Que voudrait dire un « no deal » ? Probablement, dans les premiers jours, voire les premières semaines, des dizaines de kilomètres de bouchons aux frontières UE-Royaume-Uni, des dizaines de milliers de têtes de bétail, de chiens et de chats mis en quarantaine dans les ports britanniques ou nord-irlandais. Les Eurostar à l’arrêt, des avions cloués au sol dans les aéroports londoniens, des expatriés londoniens (Français, Polonais…) en panique, et j’en passe. Personne, ni chez les Vingt-Sept, ni chez les Britanniques n’a intérêt à un « no deal ». Donc, logiquement, tout le monde finira par s’entendre à la fin. Je dirais entre mi-novembre et Noël.

Mais cette négociation est spécialement difficile, et on n’est pas à l’abri d’un accident en fin de parcours : par exemple, si l’accord de retrait ne passe pas la barre du vote à la Chambre des Communes. C’est la grande inquiétude des Européens. Et de Mme May.

Florent : Au sujet du problème de la frontière Irlandaise, ne serait-il pas possible de régler dans deux traités différents cette question et le reste (le montant du divorce avec l’UE, le sort des expatriés…), qui est relativement bien avancé afin d’éviter un « no deal » ?

La priorité absolue des Européens est de préserver les accords de paix signés en 1998 entre Irlande du Nord et République d’Irlande et qui ont mis fin à 40 ans de « troubles » en Irlande du Nord. Ces accords stipulent qu’il ne doit en aucun cas y avoir retour d’une frontière physique entre la province nord-irlandaise et la République d’Irlande.

Bruxelles veut « sécuriser » cette question dès l’accord de retrait, pour éviter que cette frontière ne réapparaisse, dans les mois ou les années suivant le Brexit, si les Européens mettent plus de temps que prévu à négocier un traité avec Londres sur leurs « relations futures ». Les Européens ont besoin de cette « assurance » (ce « filet de sécurité » ou ce « backstop ») tout de suite, car ils se font peu d’illusions : la « relation future » entre les Vingt-Sept et le Royaume-Uni, à moins que Londres finalement accepte de rester dans le marché intérieur, ne se fera pas « sans frictions » : des contrôles douaniers deviendront nécessaires, même a minima entre l’UE à 27 et le Royaume-Uni.

Corentin : Assiste-t-on à la fuite massive des grandes entreprises de la City comme cela avait été prévu ? Si oui vers quel capitale européenne ?

La fuite n’est pas massive même si, les uns après les autres, les grands établissements financiers renforcent leurs équipes continentales, anticipant qu’après le divorce, le Royaume-Uni perdra ce précieux passeport permettant aux établissements installés depuis la City de vendre leurs services financiers au reste du continent.

Les places continentales, Francfort, Luxembourg et Paris se livrent à une intense concurrence pour les attirer. Et Paris ne s’en sort pas trop mal. Bank of America, Citigroup, BlackRock, JP Morgan Chase ont tous annoncé renforcer leurs équipes parisiennes. C’est elle qui par ailleurs a gagné le « concours de beauté » continental, pour récupérer l’Autorité bancaire européenne, qui doit quitter le Royaume-Uni à la suite du Brexit.

Distrait : D’après la presse continentale, ce sont les contradictions entre Britanniques qui rendent la situation inextricable. Faut-il comprendre que même si Barnier disait oui à tout ce que demande Theresa May, celle-ci n’obtiendrait pas pour autant le consensus auprès des siens ? A partir de là, quel est l’intérêt de continuer ces négociations ?

Michel Barnier ne dira pas oui « à tout ce que lui demande [la première ministre britannique, Theresa] May ». Depuis le début des discussions avec Londres, les Vingt-Sept ont confié un mandat très clair à leur unique négociateur : d’accord pour négocier un accord qui garde le Royaume-Uni le plus proche possible de l’Union mais en aucun cas, ce divorce ne doit porter préjudice au principal acquis communautaire, à savoir le marché intérieur. M. Barnier doit donc préserver coûte que coûte cet acquis, et les règles qui vont avec : ses quatre libertés de circulation (des biens, des capitaux, des services et des personnes), et sa Cour de justice de l’Union européenne, seule en mesure de trancher des différends liés au respect de ses lois.

Si pour l’heure, la discussion entre Londres et les Vingt-Sept bute sur la question irlandaise, c’est aussi parce que les Européens, en cas de Brexit, doivent réintroduire un contrôle aux frontières entre eux et le Royaume-Uni, pour éviter que leur marché intérieur ne devienne une passoire. Or, pour les raisons expliquées précédemment, ils ne veulent pas que ces contrôles soient réintroduits entre Irlande du Nord et République d’Irlande.

J’ai 12 ans : Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ce qui se passe d’une façon simple et compréhensible par un enfant de 12 ans ?

Les questions européennes sont difficiles à simplifier, spécialement celle-ci ! Je me lance : un divorce, c’est rarement joli-joli… Surtout quand on a vécu ensemble plus de quarante ans, qu’on a tissé des liens extrêmement étroits (économiques, politiques, géopolitiques). Et surtout, que pendant la campagne référendaire au Royaume-Uni, les Brexiters ont raconté beaucoup de bêtises et passé beaucoup de grosses difficultés sous silence.

Qui a expliqué aux Britanniques, par exemple, que sortir de l’Union, de son espace douanier, de son “marché intérieur” sans frontières intérieures pour les personnes ou les marchandises, cela impliquait automatiquement, et fatalement, une frontière entre la province d’Irlande du Nord et la République d’Irlande ? Une frontière que le Royaume-Uni s’était engagé à faire disparaître dans le cadre d’un traité de paix signé en Irlande vingt ans plus tôt pour mettre fin à une guerre civile ?

Antoine : J’habite au Royaume-Uni, dois-je m’inquiéter de quelque chose concernant mon statut ?

Si les Européens parviennent à s’entendre avec les Britanniques sur un traité de divorce, a priori, non. Si vous êtes Français ou d’un autre pays de l’Union européenne, expatrié au Royaume-Uni et êtes arrivé sur place avant le 29 mars 2019, voire avant le 31 décembre 2020 (fin de la période de transition), vous pourrez rester sur place dans les mêmes conditions que maintenant. Mais si les Européens et Londres ne parviennent pas à s’entendre sur les conditions du divorce (ce qu’on appelle le « no deal »), alors cet accord sur les expatriés tombe à l’eau.