Le souvenir encore frais de Mademoiselle de Joncquières, d’Emmanuel Mouret, sorti en septembre et adapté d’un épisode de Jacques le fataliste, de Denis Diderot, donne envie de revoir son illustre prédécesseur dans l’histoire de la cinéphilie, inspiré du même livre et du même épisode : Les Dames du bois de Boulogne (1945), de Robert Bresson. Heureux hasard, le film ressort ces jours-ci en DVD et Blu-ray.

La légende qui l’entoure – haine avouée de l’actrice Maria Casarès pour le jansénisme de Bresson, répudiation par l’auteur de son propre film… – ne devrait pas empêcher d’en redécouvrir les immenses qualités. Deuxième long-métrage de l’auteur après Les Anges du péché (1943) – qui était déjà une histoire de sacrifice et de rédemption –, le film se révèle d’une beauté âpre, concise, nocturne, oppressante.

Le film de Bresson est une histoire de sacrifice et de rédemption

Hélène (Maria Casarès) feint le désamour pour Jean (Paul Bernard), bellâtre romantique avec lequel elle poursuit une liaison depuis deux ans, pour qu’il lui avoue le sien. L’homme tombe dans le piège, la machine infernale de la vengeance se met en place. Hélène va trouver au cabaret une ex-connaissance (Lucienne Bogaert) tombée dans le ruisseau, dont la fille, Agnès (Elina Labourdette), se prostitue pour survivre avec sa mère. De ce couple aux abois sorti par ses soins de la fange, elle fait l’instrument d’une machination destinée à rendre Jean fou amoureux d’Agnès, présentée comme une jeune femme à la morale très stricte, et à la lui faire épouser avant de lui révéler qu’elle est « une grue ».

Drame contemporain en noir et blanc

De la pièce d’époque de Diderot, Bresson a fait un drame contemporain en noir et blanc, dialogué par Jean Cocteau. Une histoire acérée comme une flèche qui conduit des ténèbres de la déchéance et du mal au retournement, inattendu et insensé, de la rédemption. Tel est le propos de Bresson, auquel sa mise en scène donne corps à travers les magnifiques jeux de lumière qui enveloppent les personnages et les matières sonores qui ensevelissent leurs dialogues.

Loin du train et de la vivacité de Mademoiselle de Joncquières, qui s’attache à faire briller la langue et à sauver chaque personnage, Bresson, en cela plus éloigné du roman échevelé de Diderot, aura donc pris un parti plus tranché, confinant à l’épure, qui fait de l’ombrageuse Maria Casarès une figure funeste et d’Elina Labourdette une pure incarnation de la grâce.

Le film n’en sera pas moins un échec à sa sortie, sans que l’appareil critique ajouté à ce coffret ne nous permette d’en comprendre les raisons. On y trouve notamment la réédition du livre (Autour des Dames du bois de Boulogne, journal d’un film) consacré au tournage par l’écrivain Paul Guth. C’est pour le moins une curiosité que ce descriptif purement factuel, saturé pour faire bonne mesure d’effets de style. Un ouvrage d’autant plus frustrant que strictement rien de ce qu’on en attend ne s’y trouve.

Film français de Robert Bresson (1945). Avec Paul Bernard, Maria Casarès, Elina Labourdette (1 h 30). TF1 Studio/Les Acacias. Sur le Web : www.acaciasfilms.com/film/les-dames-du-bois-de-boulogne