Une mère tient son nouveau-né dans les bras, le 7 juillet 2018, à l’hôpital de Nantes (Loire-Atlantique). / LOIC VENANCE / AFP

Les triplées ont eu un prénom et un certificat de naissance. Le jour de l’accouchement, l’empreinte de leurs minuscules pieds a été figée sur une feuille de papier, puis encadrée par leurs parents. Pourtant, la parentalité de Mégane Baltes et Pierrick Stryczek n’a pas été reconnue par la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), d’où est originaire le jeune couple, rapporte Le journal de Saône-et-Loire, mercredi 17 octobre.

Zoé, Lou et Jade sont mortes à leur naissance, après vingt-et-une semaines et six jours de grossesse. La réglementation de la CPAM veut qu’après vingt-deux semaines de grossesse, une mère de famille perçoive des indemnités journalières, au titre du congé maternité. Mégane Baltes avait commencé à percevoir ces indemnités par anticipation à partir de sa 17e semaine de grossesse, quand elle a débuté son congé maternité. Si celui-ci a été basculé en arrêt maladie à la suite de son accouchement, elle a toutefois dû rembourser les 845,25 euros perçus avant la naissance de ses filles.

Contactée, la caisse nationale de l’assurance maladie reconnaît que « les faits sont avérés », et « regrette que la dimension humaine n’ait pas été prise en compte dans ce dossier ». Une application froide et brutale de la réglementation, qui tend à nier l’existence de ces trois nourrissons, rendant l’épreuve plus difficile, confie au Monde la mère de famille de 22 ans :

« J’avais le deuil de mes filles à essayer de faire, c’est l’une des pires choses que l’on puisse avoir à traverser dans une vie. »

« J’ai eu le malheur d’accoucher avant le terme et on me demande de rembourser ce que j’ai touché pour vivre durant cette grossesse », poursuit Mégane, qui a accouché le 20 décembre, après des mois passés entre chez elle et l’hôpital.

Grossesse difficile

A la rentrée 2017, la jeune femme de 22 ans apprend qu’elle est enceinte de triplées, et décide avec son compagnon « de déménager dans un appartement plus grand et doté d’un ascenseur ». Rapidement, « les choses se compliquent », Mégane cumule « les problèmes et les arrêts maladie ».

A l’instar de nombreuses femmes confrontées à une grossesse multiple, Mégane, qui travaille en intérim chez Amazon, fait l’objet d’un suivi médical intense. « J’ai dû me rendre cinq fois aux urgences, et trois de ces passages se sont prolongés par une hospitalisation », fait-elle savoir, précisant que son travail « très physique » de préparatrice de commande « n’a pas aidé ». Finalement, le 16 novembre, Mégane débute son congé maternité, après dix-sept semaines de grossesse. Durant cette période, des spécialistes suggèrent au couple de sacrifier l’un des trois embryons pour assurer la survie des deux autres. Un choix auquel Mégane et Pierrick renoncent.

Le 20 décembre, Mégane est une nouvelle fois hospitalisée, et accouche de trois filles. L’une d’elles est mort-née. Les deux autres mourront peu après. De leurs naissances, Mégane se souvient de petites filles « toutes formées », qui ne demandaient « qu’à grandir un peu ». D’elles, elle a gardé « une boîte souvenir avec leurs photos, leurs empreintes et les cadeaux que les proches leur ont offerts ».

« Injustice totale »

« Au tout début, j’ai cru que je n’allais jamais y arriver, j’ai cru que j’allais littéralement mourir de tristesse », confie la mère de famille, qui a notamment trouvé du réconfort auprès des groupes Facebook sur le deuil périnatal. « On se sent tellement incompris. Perdre un bébé, personne ne peut comprendre », poursuit la jeune femme, pour qui la demande de remboursement adressée par la CPAM a constitué « une injustice totale ».

Le 18 janvier, Mégane reçoit une notification d’indus de la sécurité sociale, qu’elle conteste dès le lendemain, auprès de la commission de recours à l’amiable. « J’ai demandé à ce qu’ils prennent en considération ma situation particulière », rapporte-t-elle, précisant que son recours a été rejeté. Mégane saisit alors le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). L’audience, qui devait se tenir le 11 octobre, est repoussée, après qu’elle a fait appel à un avocat.

Le procès pourrait finalement ne pas avoir lieu. La publication de l’affaire dans la presse locale a en effet permis d’alerter au plus haut niveau la direction de la sécurité sociale. « La directrice adjointe de la caisse d’assurance maladie m’a appelée hier soir [mardi 16 octobre] et s’est excusée en personne au nom de la direction », confie Mégane, précisant qu’une médiation lui a été proposée et qu’elle devrait avoir « une réponse avant la fin de semaine ».

La caisse nationale de l’assurance maladie précise au Monde qu’« habituellement, un médiateur est présent dans chaque agence pour s’assurer que les particularités de certaines situations sont prises en compte », évoquant « une exception » concernant le couple.

Selon Mégane, les parents endeuillés sont pourtant régulièrement confrontés à des demandes administratives déplacées, citant les témoignages de mères de famille présentes sur les groupes Facebook qu’elle consulte. « De façon générale, les administrations ne sont pas tendres avec nous, on nous demande de rembourser des sommes, d’entreprendre des démarches lourdes, alors que l’on porte le poids du deuil », précise-t-elle, donnant l’exemple de cette mère à qui l’on a demandé de rembourser la prime de naissance versée par la caisse d’allocation familiale, et qui avait servi à financer les obsèques du bébé.

Aujourd’hui, si Mégane « va mieux », elle attend toutefois que cette « injustice soit reconnue pour être libérée ». Et poursuivre les démarches qu’elle entreprend avec son compagnon pour « avoir un nouvel enfant ».