Theresa May, le 15 octobre à Londres. / PETER NICHOLLS / REUTERS

En deux ans, le tableau n’a guère changé : la négociation sur le Brexit se joue au moins autant au sein du Parti conservateur et du gouvernement de Theresa May, qu’avec les 27 Etats de l’UE. Certes, les menaces récurrentes de rébellion de ministres ou de crise parlementaire sont souvent dramatisées à dessein à Londres pour aider la première ministre britannique à faire pression sur Bruxelles. Mais c’est un fait : si Mme May trouve un compromis avec les Vingt-Sept, il lui restera à le « vendre » à ses collègues ministres et au Parlement de Westminster, qui devrait se prononcer dans les deux semaines suivant la conclusion de l’accord.

Mme May doit d’abord rassembler son gouvernement qui bruit de rumeurs de démission de ministres hostiles aux concessions faites à l’UE, notamment à propos d’un éventuel maintien du Royaume-Uni dans l’union douanière européenne sans date butoir. Le départ, en juillet, de Boris Johnson et David Davis, deux poids lourds europhobes, a atténué la menace directe. A l’approche du sommet des 17 et 18 octobre, leurs appels à la rébellion sont tombés à plat. Même la dernière diatribe de M. Johnson dans le Telegraph, accusant Mme May d’accepter « l’annexion économique de l’Irlande du Nord par une puissance étrangère [l’UE] » n’a guère eu d’écho. Quant aux huit ministres rétifs, qui, selon la presse, ont comploté en mangeant des pizzas lundi soir dans un bureau de Westminster, ils ne sont pas sortis du rang, le lendemain, lorsque Theresa May a briefé son gouvernement sur le sommet européen, en lançant un appel pressant à l’unité.

Obtenir l’aval des Communes sera une autre affaire, puisque Mme May a perdu la majorité en convoquant des législatives anticipées en 2017. Sur les 650 députés, le gouvernement dispose théoriquement du soutien de 316 élus conservateurs et de 10 élus du Parti démocratique unioniste (DUP) nord-irlandais. Compte tenu de la non-participation aux votes du président de la Chambre, de ses adjoints et des élus du Sinn Fein (nationalistes irlandais), la majorité de Mme May est de treize voix.

Corbyn parie sur une crise

La grande masse des élus tories devrait soutenir le gouvernement. Mais entre trente et quarante élus conservateurs europhobes, dont l’extrémiste Jacob Rees-Mogg, se disent prêts à voter contre leur camp, quitte à précipiter le Brexit dans le mur afin de favoriser un divorce radical avec l’UE et un repli ultralibéral. Reste à savoir combien oseront passer à l’acte. Quant au DUP, il se dit prêt à voter contre le budget si le « deal » avec Bruxelles attribue un statut particulier à l’Irlande du Nord, mais vient d’admettre qu’il ne souhaite pas faire tomber le gouvernement.

Des défections du côté des tories devraient être compensées par un ralliement d’élus travaillistes. Le parti de Jeremy Corbyn donnera certainement la consigne de voter contre le texte dans l’espoir de faire tomber Mme May. Mais entre quinze et trente députés du Labour ont laissé entendre qu’ils désobéiraient et approuverait le « deal » passé par le gouvernement s’il prévoit une forme de maintien dans l’union douanière européenne. Il s’agit d’élus de circonscriptions anti-Brexit ou de villes menacées par les suppressions d’emplois que provoquerait un rejet de l’accord. Devrait s’ajouter la poignée d’élus du Labour pro-Brexit.

Les députés Labour rebelles contestent la stratégie de M. Corbyn, qui vise à se servir du levier du Brexit pour provoquer de nouvelles élections et parvenir au pouvoir au prix d’une crise. Ils évoquent aussi la grande lassitude de leurs électeurs à l’égard d’un processus interminable. Theresa May peut donc espérer faire voter le « deal » avec les Vingt-Sept par Westminster, mais le suspense s’annonce haletant.