Pascal Pavageau, au siège de FO, à Paris, le 1er mai. / GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Editorial du « Monde ». C’est l’histoire d’un leader syndical qui prépare minutieusement, dix-huit mois avant, son élection et qui, en même temps, crée les conditions qui vont conduire à sa chute. Elu le 27 avril, à Lille, à l’issue d’un congrès très violent, secrétaire général de Force ouvrière (FO), Pascal Pavageau, qui a été contraint à la démission, mercredi 17 octobre, a réussi un double exploit. Il a d’emblée fracturé la troisième confédération française, en menant une rude bataille contre son prédécesseur, Jean-Claude Mailly, alors qu’il était le seul candidat à sa succession. Il a ensuite battu un record dans l’histoire syndicale, celui du mandat le plus bref, à peine six mois. Une crise qui rappelle celle qu’a connue la CGT quand, en janvier 2015, Thierry Lepaon, successeur par défaut de Bernard Thibault, avait dû jeter l’éponge à la suite d’affaires mettant en cause son train de vie.

Mais le séisme qui frappe FO, soixante-dix ans après sa création, en 1948, est d’une plus grande ampleur. C’est la révélation, le 10 octobre, par Le Canard enchaîné, de l’existence d’un fichier recensant 127 responsables de fédérations et d’unions départementales qui a mis le feu aux poudres. Ce document ne se bornait pas à cibler les soutiens de M. Pavageau et les ennemis de M. Mailly, distinguant trotskistes et réformistes, il insultait un grand nombre de cadres, avec des termes fleuris – « niais », « bête », « ordure », « trop intelligent pour être au bureau confédéral » –, précisait les orientations sexuelles ou les problèmes de santé. Une incroyable et scandaleuse opération de basse police dans un syndicat qui se targue, comme l’a rappelé sa direction élargie, le 17 octobre, de défendre « la liberté de pensée et de choix individuel, politique, philosophique et religieux de chaque militant ».

« Une belle connerie »

Qualifiant ces documents de « stupides et déplacés, mais confidentiels », M. Pavageau s’est défaussé sur ses proches collaboratrices – qu’il a licenciées avant de partir –, assurant qu’il avait juste demandé un « mémo », avant de reconnaître « une belle connerie ». Dans son mail de démission, il n’hésite pas à parler de « cabale ». Que des dirigeants de FO, encore traumatisés par le congrès de Lille en avril, qui a divisé le syndicat, aient souhaité son échec ne fait aucun doute. Mais M. Pavageau, tel l’arroseur arrosé, est pleinement responsable de la crise qu’il a provoquée. En imposant à sa centrale un tournant très radical, accompagné d’un rapprochement avec la CGT, sa sœur ennemie, se mettant de facto hors jeu des négociations en cours, il a terni son image. Et il a pris le risque d’affaiblir FO durablement, alors qu’elle va jouer, le 6 décembre, lors des élections dans les trois fonctions publiques, sa première place chez les agents de l’Etat.

Pour FO, c’est un grand saut dans l’inconnu. Elle va devoir, d’ici un mois, élire un nouveau secrétaire général, qui sera tenu d’appliquer la ligne radicale arrêtée à Lille, même s’il aura le souci d’en atténuer les contours pour ne pas rester à l’écart des réformes à venir de l’assurance-chômage et des retraites. Mais l’alliance de circonstance, pour pousser M. Pavageau vers la sortie, entre les trotskistes et les réformistes, aura du mal à résister aux règlements de comptes et aux probables rebondissements de cette crise mortifère. Au-delà de FO, c’est bien le syndicalisme dans son ensemble, qui souffre déjà d’une mauvaise image dans l’opinion, qui va être atteint.