En Afghanistan, les jours d’élection sont parmi les plus dangereux de l’année car on sait d’avance ce qui va se passer. Le vote, samedi 20 octobre, pour le renouvellement du Parlement ne l’a pas démenti. Les rues vides de Kaboul, les axes fermés à la circulation et les visages inquiets des nombreuses forces de sécurité annonçaient déjà un bilan qui s’établissait, dans la soirée, selon le ministre de l’intérieur, à 28 morts et 100 blessés. A lui seul, l’attentat suicide survenu dans un bureau de vote du quartier du nord-ouest de Kaboul a fait quinze morts.

A l’échelle du pays, d’après le gouvernement, 192 incidents, qui incluent des mines artisanales et des jets de grenades, ont troublé le bon déroulé des opérations électorales. Dans le nord du pays, à Kunduz, où on a relevé 39 blessés et 3 morts, un bureau de vote a été attaqué par les talibans qui ont tué un assesseur et brûlé les urnes. Le porte-parole des talibans Zabihullah Mujahid, qui avait renouvelé, dans la matinée, par communiqué, son conseil aux citoyens de « s’abstenir de participer à ce processus théâtral afin de protéger leurs propres vies », a assuré que « 318 attaques ont été menées contre ces fausses élections ».

Pourtant, cette fois-ci, les talibans n’ont pas été les seuls à empêcher les gens de voter. Les organisateurs du scrutin ont, en effet, suscité, colère et frustration parmi les électeurs à cause d’un grand nombre de dysfonctionnements. En premier lieu, le recours, dans un délai trop court, à un système de contrôle biométrique pour lutter contre la fraude et, surtout, la décision, voilà un mois, de ne comptabiliser que les voix ayant passé avec succès cette vérification ont bloqué le système. Des dizaines de personnes formées pour leur utilisation ne sont pas venues, beaucoup de machines ne fonctionnaient pas, parfois faute d’électricité, ou n’avaient pas été livrées.

360 bureaux de vote devaient rouvrir dimanche matin

Selon la cheffe du bureau de vote installé dans le lycée d’Istiqlal, au cœur de Kaboul, « face aux problèmes du biométrique, l’ordre a été donné, en fin de matinée, par la Commission électorale indépendante de prendre en compte les votes de tous ceux qui étaient inscrits sur les listes, comme on faisait avant ». Un choix qui revenait à admettre que l’initiative était malheureuse et rayait, d’un trait, un investissement de 20 millions de dollars.

D’autres bureaux n’ont pas ouvert faute d’avoir reçu les listes des inscrits. Et, dans un grand nombre de cas, le vote n’a pu débuter que plusieurs heures après l’ouverture du scrutin, à 7 heures du matin. Des situations inextricables qui ont conduit la Commission électorale a repousser leur fermeture à 20 heures au lieu de 16 heures comme prévu initialement et 360 bureaux devaient rouvrir dimanche matin pour terminer l’enregistrement des votes. La journée de dimanche a été déclarée fériée.

L’exaspération s’est exprimée à de nombreux endroits. L’axe principal, à la sortie nord de Kaboul, a été bloqué par des milliers de personnes en guise de protestation. Un bureau a été dévasté en périphérie de la capitale. Les longues files d’attente pouvaient laisser croire qu’une participation exceptionnelle s’annonçait, en dépit des menaces, mais il s’agissait bien d’un problème d’organisation. Le président de la Commission électorale, Abdul Badin Sayat, a présenté ses excuses et il est venu à la télévision solliciter la patience des électeurs.

L’un de ses adjoints, samedi matin, au siège de la Commission sur la route de Jalalabad, alors que les signes d’inquiétudes se confirmaient, expliquait au Monde « qu’il avait fallu choisir entre les menaces des partis qui ne voulaient pas participer au scrutin si le système biométrique n’était pas mis en place et les risques de dysfonctionnements attachés à sa mise en place précipitée ». Les mêmes chefs de partis qui ont estimé, samedi, que cette élection était pire, « en termes de fraude que la présidentielle de 2014 » ou que « tout cela était la faute de l’OTAN ».

Le crédit de cette élection paraît déjà entamé

Un discours assez éloigné de celui des petits candidats indépendants. Dans la longue file du bureau de vote installé dans la mosquée du quartier de Wazir Abkar Khan, au cœur de Kaboul, on ne peut pas le manquer. Baktash Siawash, 35 ans, le plus jeune parlementaire de l’ancienne assemblée, a toujours aimé les beaux vêtements et il est fier de montrer qu’il patiente depuis des heures avec les électeurs qui l’entourent. « Les gros candidats pourront toujours protester, ils ne pourront pas bloquer le processus au niveau national qui reste un test grandeur nature pour les prochaines élections présidentielles ».

En dépit de ces récriminations, selon l’ONU, « un certain enthousiasme a été relevé pour ce vote ». Dans le bureau de la mosquée de Wazir Abkar Khan, Mohammad Abassi, un étudiant en médecine de 24 ans, attend son tour depuis cinq heures. « Je suis là pour la démocratie, on veut faire le ménage et faire partir les voleurs du Parlement ». Dans le bureau de vote au lycée Istiqlal, Nilab Hamidi, âgée de 19 ans, exulte. « C’est la première fois que je vote, je ne voulais pas rater ça. Je connais la mauvaise réputation du Parlement, mais si les programmes des nouveaux candidats sont appliqués, les choses peuvent changer ».

La participation au scrutin été qualifiée « d’importante dans les centres urbains » par l’ONG pour la transparence des élections en Afghanistan (ETWOA). Abdul Basir travaille, lui, pour Free and Fair elections forum of afghanistan (FEFA). Il était chargé d’observer le vote au lycée Isqtiqlal. « Comme le bureau n’a ouvert qu’à 9 heures trente au lieu de 7 heures, les gens sont restés longtemps sur le trottoir avec le risque d’attaques, cela montre leur volonté de participer ». Parmi les motivations figuraient, également, des logiques ethniques et tribales qui pèsent d’autant plus lourdement sur les choix individuels en Afghanistan que l’État demeure faible.

Avant même de connaître le contenu des urnes, le crédit de cette élection paraît déjà entamé. Les résultats provisoires sont annoncés pour le 10 novembre et les définitifs pour le 26 décembre. Les talibans, quant à eux, semblent sortir gagnant d’une élection chaotique sur laquelle ils ont pesé davantage par l’intimidation que par le recours massif à la violence.