Marc Marquez, Repsol Honda n° 93, sur la piste de Buriram (Thaïlande), le 7 octobre. / SOE ZEYA TUN / REUTERS

Une précocité étonnante, une technique et style de pilotage bien à lui, un sens tactique, un environnement rassurant centré sur le cocon familial... Marc Marquez c’est tout ça et cela fait maintenant six saisons que, dans la catégorie reine de la moto de vitesse, la MotoGP, ces différents « ingrédients » sont facteur de réussite pour le pilote espagnol.

Dimanche 21 octobre à Motegi, au Japon, il s’apprête à préempter pour la cinquième fois, en l’espace de six saisons, le titre mondial en Moto GP. Comptant 77 points d’avance sur son dauphin Andrea Dovizioso (Ducati), « MM93 » - son numéro en piste - doit juste maintenir l’écart pour s’assurer du titre, puisqu’il ne restera ensuite que trois rendez-vous cette saison. Retour sur le parcours exceptionnel de ce motard de 25 ans.

Un champion précoce

Marc Marquez est né pour piloter. Monté dès l’âge de 4 ans sur une moto tout-terrain, il affole les statistiques de la moto de vitesse depuis l’adolescence : le Catalan a été sacré champion du monde en 125 cm3 à l’âge de 17 ans (en 2010), puis en Moto2 à 19 ans (2012).

Arrivé en Moto GP, son adaptation est expresse. Dans la catégorie reine en vitesse, il pulvérise les records un à un. En en novembre 2013, à 20 ans et 266 jours, il devient le plus jeune champion du monde de l’histoire dès sa première saison. Puis le plus jeune double, triple, quadruple couronné. Pour comparaison, l’Italien Valentino Rossi - considéré comme le meilleur pilote de tous les temps - a décroché son premier titre dans la catégorie reine à 22 ans.

Homme de recors, l’Espagno est aussi devenu le plus jeune pilote à atteindre le seuil de 60 courses victorieuses en MotoGP, en gagnant le Grand Prix d’Aragon le 24 septembre 2017 à 24 ans et 219 jours, détrônant l’Italien Valentino Rossi qui était arrivé à ce stade en 2004, à 25 ans et 62 jours.

Et en signant 13 victoires sur 18 courses en 2014, il a également battu le record de victoires en une seule saison.

Un environnement rassurant

A 25 ans, Marc Marquez habite toujours chez papa-maman à Cervera, son village natal. Il devrait toutefois emménager en fin d’année dans sa propre maison. Mais il n’ira pas loin : il restera dans ce village distant d’une centaine de kilomètres de Barcelone et, surtout, du circuit Catalunya, temple du deux roues de vitesse.

Car c’est là qu’il s’est construit et là qu’il puise dans une relation familiale qui lui est indispensable ; elle agit comme un garde-fou, quand sa nature le pousse en permanence à chercher « la limite », voir au-delà.

A Cervera, il a roulé sur sa première moto. Il a aussi assisté à ses premières courses, avec son père Julia, conducteur d’engins de chantier, sa mère Roser, la « femme de sa vie », puis avec son cadet de trois ans, Alex, pilote professionnel en Moto2, la classe inférieure.

Un homme a compris l’importance de Cervera pour le futur champion : Emilio Alzamora, ex-champion du monde 125 cm3 (en 1999), qui a pris sous son aile le jeune Marc à 11 ans. Il refusera toujours de le déraciner, vers Barcelone ou ailleurs.

Marc Marquez, devenu adulte et millionnaire, choisira de rester dans sa cité catalane, quitte à payer de lourds impôts, contrairement à ses compatriotes, Daniel Pedrosa (Honda) et Jorge Lorenzo (Yamaha), partis en Suisse. « Comme ça, je peux aider ma mère à faire la vaisselle », plaisantait-il dans L’Equipe Mag du 17 mars 2014.

Malgré l’accumulation de trophées, « Marc est resté le même, raconte au Monde Santi Hernández, son ingénieur de course. Le matin, lorsque nous arrivons au circuit, la première chose qu’on écoute au box, ce sont ses éclats de rire. Il aime beaucoup s’amuser avec le reste de l’équipe, bavarder, comme n’importe quel membre du groupe. »

Hugo Bucher, technicien en télémétrie, se souvient, lui, de sa nuit passée dans le lit de Marc Marquez, fin 2013, après que le champion l’avait accueilli alors qu’il n’y avait plus aucune chambre de libre.

Marc Marquez, sur sa Repsol Honda n° 93, au duel avec la Ducati d’Andrea Dovizioso au Grand Prix d’Aragon le 23 septembre. / JOSE BRETON / AP

Une technique et un style « à la limite »

En piste, ce n’est plus la gentillesse qui caractérise Marc Marquez. C’est un pilote « très constant et très agressif », comme le souligne Mick Doohan, quintuple champion du monde en 500 cm3 dans les années 1990. Je pense que l’agressivité est nécessaire à ce niveau-là. C’est ce qui fait qu’ils sont des champions et qu’ils arrivent à être toujours au top.»

Marquez est en l’occurrence toujours à la limite, quitte à chuter. « Je préfère m’élancer de la 4e place de la grille en étant tombé quatre fois [en une seule journée], que de me retrouver 10e sans chute », expliquait-il après la séance de qualifications du Grand Prix de Catalogne en juin 2017. « Je ne suis pas tombé en raison des conditions de la piste, mais parce que j’ai été trop agressif », ajoutait-il.

Là encore le champion bat tous les records : 15 chutes en 2013, 11 en 2014, 13 en 2015, 17 en 2016 pour culminer à 27 chutes en 2017. Le partenaire de Honda, le groupe pétrolier Repsol apprécie toutefois les progrès : « Depuis l’an dernier, il tombe beaucoup pendant les entraînements (27 fois en 2017, 17 en 2018), mais plus en course. »

Marc Marquez - qui dit n’avoir éprouvé de la peur qu’une fois, à Mugello en Italie en 2013, lorsqu’il a bloqué la roue avant de sa Honda à 340 km/h - tombe mais ne se casse pas, contrairement à Jorge Lorenzo par exemple, qui chute rarement mais se blesse à chaque fois.

Cela s’explique par son petit gabarit (1,68 m, 59 kg) mais surtout par une technique qui défie les lois de la physique : en théorie, au-delà de 64 degrés d’inclinaison, il est impossible de redresser une moto; en 2014 pourtant, sur le circuit tchèque de Brno, il avait remis dans l’axe sa machine couchée à 68,2 degrés par une touchette du coude et du genou droits.

Deux ans plus tard, il récidivait sur le même circuit avec une machine penchée à 67,5 degrés. Seul commentaire de l’intéressé : « Je suis content, cette fois il y a une vidéo ! »

Un sens tactique

A cette maîtrise, Marc Marquez ajoute un sens tactique. « Ses départs ne sont généralement pas géniaux, relève-t-on chez Repsol. Donc il reste calme au début, il chauffe les pneus au maximum, puis augmente le rythme petit à petit. Ceci dit, il est vrai qu’il se sent à l’aise dans la lutte corps à corps, donc s’il le faut, il attend le dernier moment pour attaquer. »

C’est ce qu’il a fait en Aragon le 23 septembre, quand il a lancé l’assault sur son rival du jour, l’Italien Andrea Dovizioso (Ducati) à deux tours de la fin. Ses duels en course peuvent ainsi être homériques. Et les touchettes de carénage ne sont pas rares.

« Le leader de Honda me rappelle Valentino Rossi il y a dix ans : il sourit à tout le monde, il plaisante toute la journée, puis il baisse la visière de son casque et ne pardonne pas, commente Efren Vazquez, pilote Moto3 pour El Mundo le 8 octobre. C’est un prédateur, il vous coule psychologiquement, il vous étreint à chaque instant, il vous oblige à échouer, il vous saute dessus au besoin pour gagner, C’est sûrement le plus haut niveau qu’un pilote MotoGP a jamais été. »