Qui est Jorge Bergoglio, l’homme qui, depuis cinq ans, règne sur un milliard et trois cents millions de catholiques ? Celui qui compare l’avortement au recours à un « tueur à gages » ou celui qui pleure à Lampedusa sur le sort des migrants ? Est-il conservateur, comme le pensent les Argentins ? Ou social-progressiste, comme disent les Européens ? Les deux. François est homme complexe. Le premier pape non européen, le premier pape né dans une mégalopole. Un déraciné, enfin.

A quoi ressemble l’enfance d’un pape ? Celle de Bergoglio est bercée par sa grand-mère, Rosa, une Piémontaise à la foi simple qui faillit mourir dans un steamer, en 1927, lors de son départ en Argentine : le pape est un petit-fils de migrants. Incroyable histoire.

Mais attention : le pape François est un as du storytelling, qui sait magnifiquement tresser sa légende. Dès le 13 mars 2013, le monde entier a su qu’il avait préféré une simple pension-hôtel au cœur du Vatican aux ors des palais pontificaux. François, pape normal. En réalité, il est aussi un pape méfiant, un Argentin qui a connu la dictature, entre 1976 et 1983, et en a gardé le goût du secret.

Ces années noires ont durablement marqué Bergoglio. C’est durant cette période que, à Buenos Aires, il avait suivi une psychanalyse. Un pape peut-il avoir mauvaise conscience ? Oui. C’est sans doute la raison de son amitié avec « sœur Geneviève », nièce d’une religieuse « disparue » en Argentine, qui, un jour de 2005, au téléphone, lui a dit ses quatre vérités.

Un pur politique

Pape jésuite, François est aussi un pur politique, qui cultive son carnet d’adresses et sait parfois tenir plusieurs discours. Deux hommes en ont fait l’expérience : un de ses anciens élèves, Yayo Grassi, aujourd’hui cuisinier-traiteur à Washington, et, à Paris, l’ambassadeur de France auprès de l’Unesco. L’un et l’autre sont homosexuels, ont vu le pape en tête à tête et observé son pas de deux sur la question gay.

Bergoglio a 81 ans, et beaucoup d’ennemis : extrême droite américaine, maurrassiens identitaires, nostalgiques de Benoît XVI, Ligue du Nord italienne, cardinaux ambitieux… Steve Bannon, l’ex-stratège de Trump, s’est même installé au pied du Vatican tandis que Matteo Salvini complotait à quelques rues.

Lorsque le soir, seul dans sa chambre, François couche sur le papier ses soucis et les glisse sous la statue de Saint-Joseph, il ressemble aussi, un peu, à un pape assiégé.

De Buenos Aires à Rome, notre journaliste Ariane Chemin a enquêté durant plusieurs mois sur le parcours de Jorge Bergoglio. Si vous avez manqué la série ou l’un des épisodes publiés dans Le Monde, nous vous proposons de vous y replonger ici :

Episode 1. Le bateau de Grand-Mère Rosa

Premier volet de la série, l’enfance du fils d’immigrés piémontais en Argentine, dans l’ombre de Rosa, sa grand-mère.

Episode 2. Seul à Sainte-Marthe

Dès son élection, Jorge Bergoglio a choisi de s’installer dans une résidence-hôtel, au cœur du Vatican, plutôt qu’au palais apostolique. Il y cultive l’exercice solitaire du pouvoir.

Episode 3. Sœur Geneviève ou la mauvaise conscience d’un pape

Pourquoi le pape ne peut-il rien refuser à cette religieuse française, installée dans un camp de forains, près de Rome ?

Episode 4. François et les gays

On a dit Jorge Bergoglio plus ouvert sur la question homosexuelle que la norme. Tentative de réponse avec un cuisinier de Washington et un diplomate français.

Episode 5. Haro sur Bergoglio

Steve Bannon, le cardinal Burke, la princesse Gloria von Thurn und Taxis, la Curie… De mémoire de vaticaniste, on avait rarement vu tel front contre un souverain-pontife. En France aussi, Jorge Bergoglio compte de nombreux ennemis.