Dans un bureau de vote de Kaboul, le 21 octobre. / Rahmat Gul / AP

En Afghanistan, les jours d’élection sont parmi les plus inquiétants de l’année car on sait d’avance ce qui va se passer. Le vote, samedi 20 et dimanche 21 octobre, pour le renouvellement du Parlement ne l’a pas démenti. Les rues vides de Kaboul et les visages inquiets des nombreuses forces de sécurité annonçaient déjà un bilan qui s’établissait, dimanche soir, selon les sources les plus fiables, à 49 morts, dont 38 civils et 11 membres des forces de sécurité – et une centaine de blessés. A lui seul, l’attentat-suicide survenu samedi dans un bureau de vote d’un quartier du nord-ouest de la capitale a tué quinze personnes.

Près de 200 incidents ont été recensés sur l’ensemble du territoire, dont l’usage de mines artisanales. Dans le nord du pays, à Kunduz, où on a relevé 39 blessés et trois morts, un bureau de vote a été attaqué par les talibans qui ont tué un assesseur et brûlé les urnes. Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, qui avait renouvelé samedi son conseil aux citoyens de « s’abstenir de participer à ce processus théâtral afin de protéger leurs propres vies », a assuré que « 318 attaques ont été menées contre ces fausses élections ». Pour la présidentielle de 2014, le bilan était deux fois plus lourd.

Colère et frustration

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Pourtant, cette fois, les talibans n’ont pas été les seuls à empêcher les gens de voter. Les organisateurs du scrutin ont, en effet, suscité colère et frustration parmi les électeurs à cause d’une gestion chaotique du vote. En premier lieu, le recours, dans un délai trop court, à un processus de contrôle biométrique pour lutter contre la fraude, a bloqué le système. Des dizaines d’enseignants formés pour leur utilisation ne sont pas venus, beaucoup de machines ne fonctionnaient pas, parfois faute d’électricité, ou n’avaient pas été livrées.

Selon la chef du bureau de vote installé dans le lycée dIstiqlal, au cœur de Kaboul, « face aux problèmes du biométrique, l’ordre a été donné en fin de matinée par la Commission électorale indépendante de prendre en compte les votes de tous ceux qui étaient inscrits sur les listes, comme on faisait avant ». Un choix qui rayait, d’un trait, un investissement de 20 millions de dollars (17,3 millions d’euros).

D’autres bureaux n’ont pas ouvert, faute d’avoir reçu les listes des inscrits. Et dans un grand nombre de cas, le vote a débuté plusieurs heures après l’ouverture du scrutin. Ces situations inextricables ont conduit la Commission électorale à repousser leur fermeture à 20 heures au lieu de 16 heures comme prévu, et à rouvrir, dimanche, plus de 250 bureaux pour terminer l’enregistrement des votes. L’exaspération s’est exprimée à de nombreux endroits. L’axe principal, à la sortie nord de Kaboul, a été bloqué par des milliers de personnes. Un bureau a été dévasté en périphérie de la capitale.

Le président de la Commission électorale, Abdul Badin Sayat, a présenté ses excuses dès samedi soir. Dimanche soir, il a salué les quatre millions de personnes (sur 8,9 millions d’inscrits) qui ont bravé les difficultés pour venir voter. L’un de ses adjoints, samedi matin au siège de la Commission, sur la route de Jalalabad, expliquait « qu’il avait fallu choisir entre les menaces des partis qui ne voulaient pas participer au scrutin si le système biométrique n’était pas mis en place et les risques de dysfonctionnements attachés à sa mise en place précipitée ». Les mêmes chefs de partis qui ont estimé que cette élection était pire, « en termes de fraude, que la présidentielle de 2014 », ou que « tout cela était la faute de l’OTAN ».

« Un certain enthousiasme »

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Un discours assez éloigné de celui de certains petits candidats indépendants. Dans la longue file du bureau de vote installé dans la mosquée du quartier de Wazir Abkar Khan, au cœur de Kaboul, on ne peut pas le manquer. Baktash Siawash, 35 ans, le plus jeune parlementaire de l’ex-Assemblée, a toujours aimé les beaux vêtements et tient à montrer qu’il patiente depuis des heures avec les électeurs. « Les gros candidats pourront toujours protester, ils ne pourront pas bloquer le processus au niveau national qui reste un test grandeur nature pour la prochaine élection présidentielle. »

En dépit de ces récriminations, « un certain enthousiasme a été relevé pour ce vote », selon l’ONU. Dans le bureau de la mosquée de Wazir Akbar Khan, Mohammad Abassi, un étudiant en médecine de 24 ans, attend son tour depuis cinq heures. « Je suis là pour la démocratie, on veut faire le ménage et faire partir les voleurs du Parlement. » Dans le bureau de vote au lycée Istiqlal, Nilab Hamidi, âgée de 19 ans, exulte. « C’est la première fois que je vote, je ne voulais pas rater ça. Je connais la mauvaise réputation du Parlement, mais si les programmes des nouveaux candidats sont appliqués, les choses peuvent changer. »

La participation au scrutin a été qualifiée d’« importante dans les centres urbains » par l’ONG pour la transparence des élections en Afghanistan. Abdul Basir, lui, était chargé d’observer le vote au lycée Istiqlal pour l’ONG indépendante Free and Fair Elections Forum of Afghanistan. « Comme le bureau n’a ouvert qu’à 9 heures 30 au lieu de 7 heures, les gens sont restés longtemps sur le trottoir avec le risque d’attaques, cela montre leur volonté de participer. » Les observateurs soulignent aussi la force des logiques ethniques, surtout en province, qui pèsent sur les choix individuels.

Avant même de connaître le contenu des urnes, qui suscitera, sans doute, d’autres contestations, le crédit de cette élection paraît déjà entamé. Les résultats provisoires sont annoncés pour le 10 novembre et les définitifs pour le 26 décembre.

OMAR SOBHANI / REUTERS