Dauphine, l’Essec, l’EM Lyon, Centrale, l’Eigsi ont toutes participé à la rentrée universitaire marocaine sous le soleil de Casablanca ou de Fès. Le savoir-faire pédagogique de grandes écoles et d’universités françaises – et leur installation sur place – est censé freiner la fuite des jeunes cerveaux de l’Etat chérifien vers l’Europe. Mais près de 40 000 d’entre eux (39 855 exactement), en 2018, ont encore traversé la Méditerranée pour étudier en France. C’est le plus fort contingent d’étudiants internationaux dans l’Hexagone ; ils étaient 36 000 en 2017. L’hémorragie des futures élites marocaines n’est pas suturée.

En 2005, le royaume s’est pourtant engagé dans un vaste plan d’accélération industrielle, le plan Emergence, dont l’un des objectifs était de former 15 000 ingénieurs marocains en dix ans pour répondre aux besoins d’un pays en pleine croissance. « Les écoles publiques et privées en forment 8 000 par an. Nous sommes à la moitié des objectifs », constate Youssef Ben El Mostapha, directeur de l’Eigsi Casablanca.

Les établissements français installés sur place font tout pour convaincre les étudiants marocains qu’ils peuvent trouver dans leur pays les cursus de haut niveau répondant à leurs ambitions. « Il faut les convaincre qu’ils auront ici les mêmes niveaux de formation que ceux qu’ils auraient en Europe ou dans le monde », analyse Serge Delle-Vedove, directeur adjoint de l’Ecole centrale Casablanca. M. Ben El Mostapha est formel, « les écoles françaises qui s’installent au Maroc viennent avec les mêmes contenus, les mêmes programmes qu’en France… L’accréditation de la commission des titres d’ingénieur valide la formation que nous délivrons sur le sol marocain ». Oui, mais… « Mon premier concurrent, c’est ma maison mère à Lyon ! », s’exclame Tawhid Chtioui, directeur général (dean, doyen) de la filiale marocaine de l’EM Lyon, qui a inauguré à Casablanca, le 13 octobre, un campus flambant neuf sur les bords de l’Atlantique, en présence de Bruno Bonnell, président du conseil d’administration du groupe EM Lyon (et député LRM).

Outre les fondamentaux techniques et pédagogiques importés de France, les étudiants africains qui suivent leur scolarité au Maroc bénéficieraient d’une « acculturation » qu’ils n’auront jamais en Europe. « Au Maroc, la formation est plus interculturelle, affirme François Kiefer, directeur de l’Insa Fès. L’ingénieur sera mieux armé pour bourlinguer à travers le monde. Il intéressera les entreprises par sa capacité à assurer des missions d’ingénierie très variées, de l’entreprise high-tech à des missions de développement dans un contexte moins formel. » Des ingénieurs tout-terrain en somme, susceptibles de comprendre un contexte politique, juridique, organisationnel différent.

« Garder les talents africains ici »

Même constat dans l’univers du commerce et du management. « Le vrai enjeu de l’Afrique, c’est de garder ses talents africains, analyse le dean de l’EM Lyon Maroc. On a besoin de gens qui pensent global, mais qui connaissent le marché local. De jeunes Africains qui peuvent agir dans leur pays. Le fameux format “glocal”. » Les nouveaux élèves du BBA de l’EM Lyon à Casablanca ont ainsi commencé leur année par un voyage à Shanghaï : « Dix jours de “disruption” pour comprendre le monde », dit Tawhid Chtioui.

L’internationalisation des formations des écoles françaises est un véritable atout. « Le Maroc veut être un hub de formation au niveau du continent », rappelle M. Ben El Mostapha. Cette volonté d’irradier vers l’Afrique subsaharienne autant que vers l’Europe se construit par une maîtrise des langues et un apprentissage de la mobilité. « Nos étudiants parlent arabe, français, anglais et une quatrième langue », souligne François Kiefer, de l’INSA. L’EM Lyon a lancé le premier MOOC consacré à l’Afrique, avec des contenus spécifiques : « 20 % des apprenants en ligne dans le monde sont des Africains », affirme le dean.

Ensuite, chaque école dispose d’un réseau d’établissements partenaires et impose à ses étudiants de six à dix-huit mois de mobilité, « ce qui leur permettra d’apprendre à travailler dans un environnement international et pas seulement marocain », rappelle Serge Delle-Vedove.

Reste, souligne M. Chtioui, que « le turn-over des expats marocains qui rentrent de France est trois fois plus élevé que celui des Marocains formés ici ». Le vrai enjeu de l’Afrique, selon lui, « c’est de garder ses talents africains ».