France 5, mardi 23 octobre à 20 h 55, documentaire

Avions, blindés, missiles… La France vend des armes, beaucoup, et depuis longtemps. Dans ce pays qui fait aussi la guerre sans discontinuer ou presque depuis plusieurs décennies, le fait ne semble pas émouvoir autant que dans d’autres démocraties. Est-ce le rôle de la France d’exporter des armes dans le monde entier, particulièrement au Moyen-Orient aujourd’hui à feu et à sang ? « Oui, c’est notre rôle », tranchait François Hollande en avril 2017 dans l’usine du missilier MBDA, car sans cela « le risque c’est que d’autres le fassent à notre place ». Un « Circulez, rien à voir ! » que le documentaire de la journaliste Anne Poiret tente de bousculer. Car, si la première affirmation du film se discute assurément – « Nous ne savons rien » –, la deuxième est une vérité sur ­laquelle il vaut de s’interroger : le sujet des ventes d’armes forme « un angle mort du débat public ».

Avec 17 milliards d’euros de ­prises de commandes en 2016, montant record historique, la présidence de François Hollande a plus que toutes les autres vendu canons et munitions, ­rappelle le film. L’exécutif a agi au nom de la défense de la sou­veraineté nationale, en déclarant vouloir préserver des industries de haute technologie et leurs précieux emplois – quelque 170 000 dans la filière.

Et pourtant aucun des responsables de l’époque n’a assumé cette politique devant la caméra d’Anne Poiret : ni le chef de l’Etat qui a scellé le contrat historique du Rafale et des frégates avec le dictateur égyptien Sissi en lui accordant d’importantes garanties ; ni son ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, présenté par l’exécutif comme le chef performant de « l’équipe France », qui a engrangé des ventes depuis l’Inde jusqu’au Qatar ; ni le secrétaire général pour la défense et la sécurité nationale Louis Gautier, qui chapeaute sous l’autorité de Matignon les autorisations d’exportation. Les parlementaires ne sont pas plus prolixes. Ni les industriels. Se heurtant partout au secret-défense, le documentaire effectue un périple à la porte des usines et des salons de l’armement, où nul ne souhaite vanter la qualité de ses produits.

Interpellation morale

Dans les démocraties occidentales, la guerre au Yémen a depuis 2015 relancé une forte interpellation morale : peut-on continuer de fournir en matériels militaires des protagonistes, Arabie saoudite en tête, accusés de commettre des crimes de guerre envers les populations civiles ? Sous la pression de députés européens, d’ONG ou de leur opposition, les gouvernements d’Espagne, de Suède ou des Pays-Bas ont récemment décidé de stopper des ­ventes à Riyad. L’Allemagne, la France, le Royaume-Uni continuent de fournir leur client sul­fureux en assurant redoubler de précautions. Le problème est que, pour être bien réelles, ces règles demeurent opaques. Et qu’elles ne sauraient éviter tout emploi d’armes contraire au droit de la guerre.

En 2016, un débat a opposé le ministère français des affaires étrangères à celui de la défense au sujet de la coalition au Yémen. Il n’a pas dépassé les premiers cercles de l’Etat. Faut-il attendre un scandale pour qu’évolue la position française, s’interroge le film ? Un détour par l’attentat de Karachi – onze salariés français de DCN tués en 2002, une affaire en lien avec des commissions versées lors de la vente de sous-marins au Pakistan – permet de rappeler que vendre des armes ne va jamais sans risques. Le film ne comporte pas de révélations, mais il a le mérite de donner aux citoyens les clés du débat.

Mon pays fabrique des armes, d’Anne Poiret (France, 2018, 70 min). www.francetvpro.fr