Décrocher avant la fin de l’année un accord à Bruxelles à propos de la taxe GAFA (sur les géants du Net, Google, Apple, Facebook et Amazon) relève désormais du pari. Pourtant Bruno Le Maire ne raccroche pas. Mardi 23 octobre, le ministre des finances français devait se rendre au Parlement de Strasbourg pour « mobiliser et sensibiliser » les eurodéputés, et utiliser l’hémicycle européen comme « caisse de résonance » précise-t-on à Bercy.

Audition devant la commission ECON, spécialiste des questions économiques, rencontre avec le chef de file des libéraux Guy Verhofstadt, avec celui des sociaux-démocrates, Udo Bullmann, rassemblement avec des poids lourds du parti conservateur, les Allemands Manfred Weber et Elmar Brok… L’idée d’un nouvel impôt sur l’activité des géants du Web est plutôt populaire en France, mais nettement moins dans les pays du Nord de l’Union.

L’opération de communication fera-t-elle changer les équilibres européens ? Ils semblent figés depuis la fin de l’été dernier, une vingtaine d’Etats membres (sur 28) ayant d’ores et déjà répondu favorablement à la proposition française soutenue par la commission Juncker. Les Baltes, le Luxembourg et les Pays-Bas se sont ralliés du bout des lèvres après la suggestion de M. Le Maire que cette taxe ne soit que temporaire.

Censée porter sur une fraction du chiffre d’affaires des GAFA, elle aurait vocation à être remplacée par un impôt défini au niveau mondial, dès que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) aura achevé ses travaux. Mais la Suède, le Danemark et, surtout, l’Allemagne, continuent à tergiverser. Dans le Welt am Sontag, dimanche 21 octobre, Olaf Scholz, son ministre des finances a plaidé en faveur « d’un taux d’imposition minimum valable dans le monde entier et auquel aucun Etat ne puisse se soustraire ».

Unanimité requise

Le social-démocrate soutient les travaux de l’OCDE sans pour autant envoyer ce signal franc en faveur de la solution européenne qu’espérait Paris. Au cœur des préoccupations allemandes : le fait que l’impôt, en visant les revenus plutôt que les profits des GAFA, ne crée un dangereux précédent, en redirigeant les recettes fiscales des lieux de production aux lieux de consommation. Berlin redoute aussi qu’à trop viser les groupes américains du Net, Bruxelles et Paris réveillent la guerre commerciale latente entre Trump et les Européens.

Quant à l’Irlande, qui a en partie bâti son modèle économique sur une fiscalité attractive pour les géants du Net, elle maintient son veto, alors que tout nouvel impôt européen nécessite que le feu vert soit donné à l’unanimité. « On ne ferait pas tout cela si on ne pensait pas qu’un accord est possible, assurait-on à Bercy, lundi 22 octobre. Par rapport à d’autres négociations fiscales, celle-ci va très vite. »

De fait, quand il s’agit de nouveaux impôts, les Européens mettent plutôt des années à s’entendre et les projets mort-nés ne sont pas rares, comme la taxe carbone aux frontières et celle sur les transactions financières.

Mais Emmanuel Macron, qui avait réclamé cette taxe GAFA dans son discours de la Sorbonne, en septembre 2017, veut un signal politique fort avant le début de la campagne pour les élections européennes : une mesure concrète, qui parle à tout le monde et réponde à une demande de justice fiscale. Décrocher un accord à Bruxelles apporterait aussi la preuve qu’il est capable d’y faire bouger les lignes, même si l’impôt ne rapporterait que des sommes symboliques (5 milliards d’euros au niveau européen, 500 millions tout au plus pour la France).