Un rhinocéros blanc dans le parc Kruger, en Afrique du Sud, en août 2018. / WIKUS DE WET / AFP

En mars 2017, Vince, un rhinocéros blanc du zoo de Thoiry (Yvelines), a été tué de trois balles de calibre 12 et sa corne ­arrachée par des braconniers. C’était la première fois qu’un parc zoologique européen était touché par le massacre de rhinocéros, un phénomène presque banal en Afrique, où un animal est abattu toutes les huit heures. Le documentaire Rhino dollars, réalisé par Olivia Mokiejewski au terme de deux ans d’enquête et disponible sur Arte, montre que derrière ces tueries dictées par la loi du marché se cache « un nouveau visage du crime organisé ». Ce trafic méconnu rapporte autant que celui de l’or ou de l’héroïne.

Pourquoi avez-vous décidé de faire ce documentaire ?

Olivia Mokiejewski Quand on parle de problématique animale, les gens répondent souvent que c’est triste pour la planète. Mais ils considèrent que l’urgence est ailleurs. En faisant ce documentaire, j’ai voulu montrer qu’avec le trafic de cornes de rhinocéros, nous étions face à un nouveau visage du crime organisé. Dans son fonctionnement, il est identique aux trafics de drogues ou d’armes. Il ne s’agit pas seulement d’une « problématique pour écolos ». Ceux qui disent que « la Terre continuera de tourner » oublient que le pillage de la nature est l’une des premières sources de financement de la pègre et des groupes terroristes. Il ne s’agit donc pas seulement de sauver une espèce animale. Les menaces ne sont pas qu’écologiques, mais aussi économiques et sécuritaires.

Au rythme où vont les massacres, pour quand est programmée la fin des rhinocéros ?

On estime aujourd’hui qu’il en reste environ 25 000, qu’ils soient blancs ou noirs. En Afrique du Sud, 1 000 sont tués chaque année. On peut donc supposer que la disparition est programmée d’ici une vingtaine d’années. On dit ça pour beaucoup d’espèces. Pour les lions, on estime qu’il n’y en aura plus en 2050. Le problème est que moins il y a d’animaux, moins il y a de diversité génétique et plus l’espèce s’éteint rapidement.

Comment sont structurées les mafias qui organisent le trafic de cornes de rhinocéros ?

Ces mafias, organisées comme des entreprises, comptent cinq niveaux. En bas, il y a de petits braconniers. Au sommet, ce sont souvent des hommes d’affaires asiatiques, basés en Chine ou à Hongkong, qui dirigent des sociétés parfaitement légales. Au cours du documentaire, nous sommes montés aux niveaux 3 et 4, c’est-à-dire à des parrains mêlés à d’autres trafics comme l’ivoire ou la drogue. Ces mafias ont des ramifications sur plusieurs continents et sont très bien organisées. Quand des têtes tombent, elles sont immédiatement remplacées.

Comment avez-vous convaincu les braconniers de témoigner ?

Il ne faut pas avoir une vision manichéenne qui consiste à dire : « ceux qui tuent des rhinocéros sont des méchants, ceux qui les défendent sont des gentils ». J’ai essayé de comprendre ce qui a fait le lit du crime.

En Afrique du Sud, les conséquences de l’apartheid sont une des données du problème. Dans cette guerre de la corne, on retrouve des tensions raciales très fortes. Les laissés-pour-compte voient toute la journée des cars et des voitures pleines de touristes, mais ils ne bénéficient absolument pas des retombées économiques de la faune. Et quand ils sont embauchés en tant que rangers, ils gagnent un salaire de misère. Du coup, lorsqu’ils voient un animal, ils voient de l’argent. Ils n’ont aucun intérêt à protéger les animaux. En un coup de feu, ils vont gagner 50 ou 100 fois plus.

J’ai réussi à les approcher en leur demandant pourquoi ils faisaient ça, mais sans les juger. Eux ne sont pas fiers de ce qu’ils font, mais ils l’expliquent. Quand vous leur dites : « Et que ferez-vous quand il n’y aura plus de rhinos ? », ils vous répondent : « On tuera des éléphants ». Ces gens ont des désirs comme tout le monde, avoir des tee-shirts à la mode et écouter de la musique.

Quelles seraient les solutions ?

Il faudrait une vision globale de ce trafic, une vraie collaboration internationale pour démanteler les réseaux criminels. Il faudrait aussi des formations au niveau des douanes, car aujourd’hui les cornes ne passent plus en un seul morceau mais sous forme de bijoux, et les autorités ne sont pas du tout formées à ça. L’autre idée, un peu idéaliste, serait de travailler en collaboration avec les populations locales pour que les syndicats du crime aient moins de facilités à recruter. Côté asiatique, il faudrait aussi expliquer que la corne de rhino a des vertus totalement imaginaires, qui ne sont pas prouvées scientifiquement.