Editorial du « Monde ». Les réseaux sociaux sont d’impitoyables révélateurs. Et des amplificateurs capables de déclencher de puissantes vagues de protestation. On le constate, une nouvelle fois, avec la vidéo, largement diffusée depuis le 18 octobre, dans laquelle on voit un lycéen de Créteil mettre en joue une professeure avec une arme pour exiger qu’elle ne note pas une énième arrivée en retard en cours.

Que l’arme se soit avérée factice n’enlève rien au choc de l’image : depuis une semaine, ce sont des milliers de professeurs de collèges et de lycées qui témoignent, sur Twitter, des faits de violence qui dégradent, voire pourrissent, le climat dans leur établissement. Le succès du hashtag #pasdevague sous lequel ils s’expriment démontre, à la fois, leurs difficultés à faire face à ces situations et le sentiment qu’ils sont abandonnés à leur sort par les chefs d’établissement et les autorités académiques. Ceux-ci, à leurs yeux, sont trop enclins à minimiser ces incidents et, selon la formule du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, à « mettre la poussière sous le tapis ».

Banalisation des incivilités

Le phénomène n’est pas nouveau, et l’éducation nationale s’en préoccupe sérieusement depuis une vingtaine d’années. Toutes les enquêtes sur le sujet montrent également qu’il n’est pas en expansion. Entre 2007 et 2016, les incidents graves recensés par le ministère (violences physiques ou verbales, atteintes à la vie privée, violences sexuelles, vols ou dégradations des locaux, des matériels ou des biens personnels) se sont stabilisés et se produisent la plupart du temps entre les élèves. Moins de 1 % des enseignants déclarent avoir subi des violences physiques durant leur carrière, et environ un tiers des agressions verbales.

Mais ces chiffres globaux ne rendent pas compte du sentiment de solitude de nombreux professeurs, ni du traumatisme provoqué par les agressions les plus violentes, ni de la lassitude devant la banalisation des incivilités ou des injures. Ils ne reflètent pas davantage la diversité des situations et la plus grande concentration des problèmes dans les lycées professionnels ou dans des quartiers « difficiles ». Inévitablement, la violence qui enflamme telle ou telle banlieue, et dont témoigne la multiplication récente de rixes sauvages entre bandes d’adolescents, déteint sur le « sanctuaire » scolaire.

Sévèrement interpellé à l’Assemblée nationale par la droite ou l’extrême droite, qui l’accusaient d’occulter le problème, le ministre a haussé le ton : « Il n’y a aucun laxisme. Nous allons rétablir l’ordre et l’autorité », a-t-il martelé. Chacun sait, pourtant, que c’est plus facile à dire qu’à faire. Multiplier les mesures disciplinaires et exclure les fauteurs de troubles ? Mais ce n’est que déplacer la difficulté dans un autre établissement. Renforcer l’encadrement ? Fort bien, mais, contrairement à une idée reçue, le nombre de conseillers pédagogiques n’a pas baissé depuis dix ans et celui des surveillants a augmenté.

En réalité, tous les acteurs reconnaissent qu’il faut des solutions précises, patientes et sur mesure. Ainsi, la stabilisation des équipes pédagogiques est indispensable, notamment dans les secteurs d’éducation prioritaire, où le « turnover » des jeunes professeurs est déstabilisant. De même est-il nécessaire que la formation des enseignants prenne en compte cette réalité du métier, ce qui n’est pas le cas. Ce sont des chantiers de longue haleine. Raison de plus pour s’y atteler.