Le troisième-ligne Sergio Parisse, en novembre 2015. / PAUL ELLIS/AFP

Prenez trois verres d’eau. Dans le premier, mettez une carotte. Dans le second, un œuf. Dans le troisième, du café. Tout ce qu’il y a de plus sérieux, Heyneke Meyer a effectué l’expérience devant les rugbymen du Stade français, que le Sud-Africain entraîne depuis cette saison. « Il a posé les trois verres sur une table d’hôtel, avant notre premier match de la saison en championnat, à Perpignan, se souvient le troisième-ligne Sergio Parisse. Il voulait nous montrer que l’eau peut exercer différentes sortes de pression, et donc nous rappeler que les joueurs ont aussi différentes réactions possibles à la pression. »

Il faut croire que cette équipe du Stade français réagit bien, son début de saison l’ayant transmuée en « quelque chose de bon » : « du bon café ! », selon le capitaine, par ailleurs international italien. Voilà le club de Paris à la deuxième place du championnat de France avant de recevoir les gros bras de Montpellier pour la huitième journée, samedi 27 octobre. Plutôt appréciable, si l’on se souvient que « le club a failli disparaître » il y a peu, rappelle Sergio Parisse.

En mars 2017, les joueurs prenaient une décision de plus en plus rare dans le monde du travail, et inouïe dans celui du rugby : ils déposaient un préavis de grève illimitée pour empêcher la réalisation du projet de Thomas Savare, alors président. En partance, l’homme d’affaires avait accepté l’idée d’une fusion de l’équipe première avec celle du Racing 92, le voisin des Hauts-de-Seine. Projet finalement abandonné. « Nous, les joueurs, on s’est battus pour éviter cette fusion, complètement ridicule à mes yeux, se félicite Parisse. Une belle révolte. Je trouvais inenvisageable de laisser mourir un club avec autant d’histoire que le nôtre. » Le Stade français, 14 titres de champion de France entre 1893 et 2015, est l’une des deux seules institutions ayant soulevé le Bouclier de Brennus au cours de trois siècles différents. L’autre est le Racing (6 titres entre 1892 et 2016).

« Je n’ai jamais envisagé de quitter le club pendant la première année. Je continue d’agir en entrepreneur. En rugby, comme dans les affaires, il y a des hauts et des bas »

Le quinzième titre viendra « dans les trois ans », promet Hans-Peter Wild. Depuis son rachat du club à Thomas Savare, en juin 2017, l’homme d’affaires, né en Allemagne mais résident suisse, a toutefois eu à connaître l’incertitude du sport : la saison dernière, l’équipe a évité de peu la relégation, fragile 12e du Top 14. « Il s’agissait d’une saison de transition, nous avions perdu des joueurs importants, relativise-t-il à présent, de passage dans un hôtel chic du 16e arrondissement de Paris, non loin du stade Jean-Bouin. Je n’ai jamais envisagé de quitter le club pendant la première année. Je continue d’agir en entrepreneur. En rugby, comme dans les affaires, il y a des hauts et des bas. »

A 77 ans, le milliardaire a fait fortune grâce à une entreprise de jus de fruits : la marque Capri-Sun barre aujourd’hui les maillots roses du Stade français, couleur héritée d’une précédente direction, celle de Max Guazzini (1992-2011).

Heyneke Meyer bien entouré

Ainsi va le rugby professionnel, suspendu comme jamais aux finances de ses dirigeants. Celles du « docteur » Wild (son titre universitaire) garantissent aux Parisiens le plus gros budget prévisionnel du championnat : 34 millions d’euros pour la saison en cours, et donc des ambitions très à la hausse. « Nous voulons installer le club parmi les meilleurs du monde », résume le propriétaire. Une « audace (…) capitale », d’après le slogan du club, qui a d’ailleurs rallongé son nom officiel en « Stade français Paris ».

Heyneke Meyer y croit, au point d’avoir proposé de lui-même ses services « par courriel » à Hans-Peter Wild, raconte l’entraîneur. Le Sud-Africain découvre le championnat de France depuis le mois d’août, mais l’annonce de sa nomination remonte à mi-avril, au cours de la saison précédente. L’ancien sélectionneur de l’Afrique du Sud se cherchait une raison d’entraîner depuis l’éprouvante Coupe du monde 2015 : élimination en demi-finale et, en sus, défaite contre le Japon au premier tour.

Le manageur a enrôlé bon nombre d’adjoints, tous des références à leur poste. Pieter de Villiers pour les avants et Paul O’Connell pour la touche, par exemple. « Ma philosophie est simple : je crois aux spécialistes. Si j’ai un problème à un genou, je vais chez un spécialiste du genou. Si j’ai un problème avec mon cœur, je vais chez un cardiologue. »

Très tôt, le Sud-Africain a aussi insisté pour recruter des joueurs. Parmi eux, deux internationaux français en provenance du Stade toulousain, le deuxième-ligne Yoann Maestri et le centre Gaël Fickou. « Heyneke a tenu à me voir à Toulouse dès la saison dernière, il m’envoyait aussi des messages pour que je vienne à Paris », raconte le second, délesté de « 5 à 6 kilos » après la préparation physique de l’été. A l’inverse, dès le mois de juin, le club congédiait vingt-quatre joueurs. « Pas assez bons », tranche Hans-Peter Wild.